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Quand les neutrons permettent de protéger des œuvres d'art inestimables

• Les tableaux anciens peuvent être endommagés pendant le processus de restauration par les solvants utilisés pour enlever le vernis des peintures. C’est le XXe siècle qui a connu le plus grand nombre de peintures endommagées suite à une restauration.

• De nouvelles recherches utilisent des neutrons pour examiner comment les solvants pénètrent le vernis d'une peinture, notamment celui utilisé dans la plupart des restaurations depuis les années 1960

• Les résultats de l'étude aident à mieux informer et prévenir la destruction d'œuvres d'art précieuses pendant leur restauration. De nouvelles normes, basées sur ces informations, permettraient une automatisation fiable de la restauration d'art
 

Aucune œuvre ne dure éternellement. C’est particulièrement vrai pour les peintures qui se détériorent inévitablement par des processus physiques tels que le dépôt de poussière ou de suie en suspension dans l'air, l'oxydation, ou encore la corrosion par des radicaux libres. En conséquence, après 50 à 100 ans d’exposition à l'air, une peinture autrefois colorée peut devenir uniformément brune, noire ou blanche, et son vernis protecteur opaque, fissuré et irrégulier.

 

Afin d’atténuer ces effets, les peintures anciennes sont périodiquement restaurées. Cette transformation majeure vise à rétablir l'apparence originelle de la peinture par étapes successives et d’une manière simpliste pourrait être décrit comme : le nettoyage  de la surface de la couche de vernis ; puis le gonflement, la dissolution et  le remplacement de la majeure partie du vernis qui recouvre la couche de peinture par l’action d’un solvant ; le renouvellement d'une partie de la couche pigmentée,avant le comblement et la réintégration chromatique des éventuelles lacunes de la couche colorée, lorsque c’est justifié.  l'extraction de la saleté qui peut s’être déposée près de la surface de la couche de vernis, ou encore avoir rempli des cavités qui peuvent avoir explosé lors d'une exposition accidentelle à l'eau. Pour finir un nouveau vernis frais protecteur sera posé.

Portrait d'Olivia Boteler Porter avant et après restauration.
Faites bouger le curseur pour comparer les deux versions.
Source Wikimedia Commons

Typiquement, une même peinture du XVIIe siècle peut avoir été restaurée plusieurs fois, et chaque opération peut modifier considérablement la composition, la cohésion des matériaux composites ainsi que l’adhérence entre les différentes couches.

On dit souvent que le XXe siècle fut le siècle au cours duquel le plus grand nombre de tableaux furent endommagés, non par la guerre ou des catastrophes naturelles, mais par des opérations délibérées de restauration. Afin de limiter ces destructions, il devient urgent de mieux comprendre les processus qui entrent en jeu lors des restaurations, mais également ceux qui interviennent dans les conséquences de ces interventions.

Ces processus impliquent la physique fondamentale des polymères. Les scientifiques ont donc conçu un ensemble de méthodes, basées sur l'utilisation de faisceaux neutroniques à l'Institut Laue-Langevin (ILL) – leader mondial en sciences et techniques neutroniques - pour examiner les processus en profondeur. De nouvelles méthodes de restauration automatisées, totalement inoffensives pour les œuvres d'art, en particulier sur le long terme, pourraient découler de ces études.

La physique derrière l'élimination d’un vernis encrassé à la surface d'une peinture

Une des tâches déterminantes dans la restauration consiste à retirer le film de vernis oxydé et jauni par l’utilisation d’un ou d’une mixture de solvants, et à la remplacer par un vernis frais et transparent. La méthode la plus couramment employée par le restaurateur consiste à transférer la solution sur le film par contact via un coton-tige imbibé et couplé à une action mécanique circulaire de ce dernier, et retirer la partie extérieure de cet ancien vernis, tout en minimisant le cisaillement.

Il existe un risque important d’endommager la peinture par un transfert excessif de solvant, qui peut infiltrer la couche de peinture et réduire la cohésion du composite, pénétrer dans les fissures et créer des ponts capillaires qui exercent des contraintes sur le matériau ; ou par un cisaillement excessif, qui peut conduire à l’enlèvement du liant (lixiviation) ou des pigments. L'introduction d'hydrogels dans le milieu de la restaurant restauration d’e l’art fut un réel progrès pour prévenir ces dégâts. Contenant une quantité prédéfinie de solvant, ils permettent un meilleur contrôle sur le transfert de solvant. Pourtant, il reste une question majeure dans la distribution finale du solvant vers la couche de vernis car plusieurs cas peuvent se présenter :

Le cas agressif pour une peinture : Il y a un risque de dégâts plus élevé si le profil de concentration du solvant dans la couche de vernis est uniforme. Il est alors plus probable qu'une fraction des molécules du solvant puisse diffuser le long de la couche de vernis et pénétrer dans la couche de peinture, immédiatement mais aussi après la restauration.

Le cas inoffensif pour une peinture : Le risque de dégâts est moins élevé si le profil de concentration du solvant dans le vernis est une fonction graduelle. Pratiquement aucune molécule de solvant n’atteint la partie intérieure de la couche de vernis qui est au contact avec la couche picturale. Une forte concentration de solvant demeure dans la partie externe du vernis. Les deux régions sont séparées par un « front », où les macromolécules passent du stade « vitreux » à « mobile ». Cette migration de petites molécules dans une matrice polymère dense est parfois appelée « diffusion du second type », car la vitesse de pénétration et de migration dépend de la mobilité du réseau polymère, et donc de la concentration de petites molécules qui ont déjà pénétrées le réseau de polymères.



Illustration: les étapes successives d'élimination des couches encrassées d'un vernis. Crédit: Amelie Castel, ILL.

Utilisation de la réflectivité neutronique pour déterminer le profil de profondeur du solvant dans le vernis
 

Les chercheurs de l’ILL ont étudié l'élimination des couches de vernis sur supports solides par des solvants organiques utilisés dans la restauration de peintures sur chevalet. Ils ont testé un concept utilisé dans la restauration d’art qui consiste à diluer le solvant (alcool benzylique) avec de l'eau, afin de limiter la quantité de solvant « agressif » dans le système.

Ils ont pu observer qu’un démouillage de tout le vernis peut se produire (plutôt qu'une dissolution contrôlée) si la concentration de solvant excède un seuil critique en raison de la présence d'eau. Ce serait catastrophique pour la peinture, car cela exposerait la couche de pigment au liquide de nettoyage.

La suite du projet a utilisé la réflectométrie neutronique sur l’instrument FIGARO pour déterminer le profil de profondeur de la concentration de solvant dans un film de vernis, qui était pris en sandwich entre une couche d'eau et de solvant en vrac et un substrat de silicium monocristallin. L'épaisseur de la couche de vernis était d'environ 100 nm et a été préparée par centrifugation. Des mesures complémentaires furent effectuées par microscopie à force atomique.


Les étapes vers une restauration d'art automatisée

En examinant ce système couramment utilisé dans la restauration d'art à l'aide de la réflectométrie neutronique à haute résolution, l'étude a démontré que des concentrations accrues de solvant et une exposition prolongée provoquent l'apparition et la croissance de cavités remplies d'eau, ce qui conduit à la rupture du vernis. Suite à ces découvertes, une révision des attentes communes du patrimoine culturel concernant le comportement de mélanges de solvants dans la restauration des peintures sur chevalet est attendue.

Les résultats de cette étude peuvent éclairer la création de normes importantes qui ouvriraient la porte à des processus de restauration plus sûrs ainsi que de potentielles techniques automatisées dans le milieu de la restauration d’art. Cependant, l'intervention et la supervision humaines resteront absolument indispensables afin de garantir la sécurité des peintures prises en charge par les machines.

Contact:  Philipp Gutfreund, Chercheur à  l'Institut Laue-Langevin

Instrument : Le réflectomètre à neutrons FIGARO  a été utilisé dans cette étude. 

Re: Soft Matter: Swelling, dewetting and breakup in thin polymer films for cultural heritage. doi: 10.1039/C9SM01976F