Récupération de l'hélium
La récupération de l'hélium
Si l'azote liquide était assez bon marché dans les années 70 (<0,5 € de 2014 le litre), l'hélium était déjà onéreux à cette époque (6-8 € de 2014).
Venant d'un labo basse température "pauvre", Dominique Brochier a presque tout de suite entrepris la construction d'un système de récupération couvrant tout l'ILL. Ce dispositif a été mis en service en 1972 et a vite permis, bon an, mal an, de recycler près de 90% de l'hélium, une économie très substantielle pour l'ILL comme on le verra plus loin. Cet équipement devenu familier, tout le monde l'appelle maintenant affectueusement "la récup".
Dès le départ, le dispositif comportait un système de compression du gaz pour permettre son transport au CENG. Selon Dominique Brochier, c'est lui-même qui a calculé les compresseurs mais c'est Gabriel Prati qui a fait le reste car il connaissait bien les problèmes de perte de charge. Les tuyaux sont en cuivre. Pourquoi ? Brochier a hésité entre plastique et cuivre mais un ami plombier lui a dit "Mets du cuivre !" alors il a mis du cuivre.
Le gaz récupéré, une fois comprimé, est renvoyé aux liquéfacteurs du CNRS ou du CEA à l’aide d’un capillaire de cuivre de près de 1.5 km (diamètre interne d’environ Ø5 mm) qui traverse aujourd’hui la zone occupée par la société ST Microelectronics. Le transfert du gaz se fait naturellement grâce à la différence de pression existant entre les cadres de bouteilles d’He à haute pression et les baudruches basse pression situées à proximité des liquéfacteurs. D’après l’équipe du CEA, en 2015, il y a environ 8 km de capillaire sur le polygone de Grenoble qui assurent le transfert de l’He d’un centre vers un autre.
Les "récupérateurs"
La récupération a donc été créée par Dominique Brochier et Gabriel Prati mais ce dernier est mort accidentellement en 1976.
Marcello Brancaleone a donc pris sa suite jusqu'à son départ à la retraite en 2007. Dans les documents d'archive on note les collaborations de Klaus Gobretch et aussi de J. Mary (SPR). En 1978, ils produisent une étude sur les éventuels risques associés à l'utilisation et la récupération de l'hélium sur les instruments.
Eddy Lelièvre-Berna et son équipe (le SANE) se sont ensuite attachés à moderniser cet équipement afin de réduire les pertes à 5% environ. L'installation “récup” a donc été améliorée, des maintenances régulières ont été programmées (vases, cryostats et pompes He) et sa gestion de plus en plus complexe a été informatisée. Pour y parvenir, les compteurs ont été raccordés à l’intranet et le SANE a développé He4Ever, une paire d'applications pour iPhone dont l'une sert de terminal de saisie portable et l'autre calcule les mouvements d’hélium. L'ILL dispose ainsi de rapports mensuels et annuels automatiques pour les instruments CRG, le CEA, le CNRS, l’ESRF et l’IBS.
L'évolution
On a un aperçu de l'évolution de la "récup" à travers celle de ses compresseurs et de la baudruche qui sert de stockage intermédiaire.
Les compresseurs
1973 : Compresseur LUCHARD HE 40 de 30 m3/h en salle Diesel
1986 : Compresseur Corblin à membranes. Sur le papier, cette technologie semblait idéale, malheureusement il se formait de la condensation et les membranes claquaient.
1989 : Remplacement du compresseur Corblin par un Compresseur Compair-Luchard HE 110 de 85 m3/h.
1995 : le compresseur HE 110 ne suffit pas pour prendre en compte l'arrivée de l'ESRF et le compresseur de secours, le vieux HE 40 de 30 m3/h datant de 1972, donne des signes de faiblesse. Le HE 40 est donné à la section plongée du CENG pour le remplissage des bouteilles et est remplacé par un HE 110.
2015 : La situation à cette date est donc, 2 compresseurs Compair-Luchard HE (VHP36 MK1), l'un de 1988 et l'autre de 1995.
La baudruche
De 1972 à 2005 l’ILL a utilisé une baudruche de 7 m3 environ, de marque Zodiac. En 2005 Marcello transfère le gazomètre souple de ILL15 au magasin général. La baudruche est remplacée par un modèle de 16 m3 (19 m3 selon un plan de 12/04/2005) de marque différente mais, mal installée, elle rend l’âme rapidement. En 2007 elle est donc remplacée par une baudruche Zodiac de 20 m3 qui est toujours en service.
Les extensions successives
Les discussions pour le raccordement de l'ESRF ont été entamées dès 1992, un accord a été signé en mars 95 et un raccordement "limité" est effectif dès le 17 juillet 1995. Un contrat plus complet a été signé en 2004.
Quand l’IBS s’est installé sur le campus EPN, il a été intéressé à récupérer l’He vaporisé dans les gros cryo-aimants de ses spectromètres RMN car, si leur consommation est peu élevée, les transferts d’He génèrent beaucoup de pertes. En octobre 2013, une ligne de 430 m a donc été raccordée entre l’IBS et l’ILL (tube Inox Ø80 intérieur). Les débits d’He variant énormément (faibles en période de mesures RMN, forts en période de remplissage des cryo-aimants RMN), des compteurs bas et haut débits ont été installés en parallèle, qui se partagent automatiquement les mesures des volumes récupérés.
Un véritable succès et une opération très rentable
"La récup." est une spécificité de l'ILL en regard des autres centres de neutronique.
Son intérêt est attesté par les raccordements successifs de l'ESRF puis de l'IBS. Pourtant, en 2014, SNS (USA) ne récupèrait toujours pas l'hélium, ISIS (Angleterre) en était seulement au stade de l'envisager, Berlin avait installé une récupération mais affichait encore 40% de pertes. Au début des années 2000, FRM II n’avait pas souhaité installer une “récup” croyant que les cryoréfrigérateurs allaient remplacer les cryostats à He liquide. Ils regrettent aujourd’hui ce choix car, par exemple, ils ne peuvent plus utiliser leur cryo-aimant de 15T à cause du coût de l’hélium liquide (refroidir la bobine et l’utiliser une semaine coûtait environ 10 000 € en 2014). Quant au futur ESS (Suède), début 2015, rien n'était encore décidé.
Eddy Lelièvre-Berna a calculé que, de 1972 à 2014, l'ILL a consommé 2,525,706 litres d'hélium liquide recyclé à 87%. Il en a résulté une économie de 12,6 M€ pour l'ILL sur cette période, une bien bonne affaire et un véritable succès pour ce dispositif.