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Les secrets du limoncello révélés grâce aux neutrons

Si vous cherchez un liquide à étudier par la diffusion de neutrons, ce n’est probablement pas une liqueur de citron qui vous vient tout de suite à l’esprit. Pourtant, pour le Dr Leonardo Chiappisi, chercheur à l’ILL, et l'Université technique de Berlin, le choix était évident. « En Sicile, la région d’où je viens, le limoncello permet d’égayer n’importe quel dîner », plaisante-t-il.

Liqueur trouble de couleur jaune fluo, le limoncello est une institution dans le sud de l’Italie. Bien souvent, il est préparé de façon artisanale en laissant macérer des zestes de citron dans de l’alcool pendant plusieurs semaines. C’est aussi la liqueur préférée du Dr Chiappisi. Le limoncello lui a inspiré une publication qui devrait — il l’espère — permettre de développer de nouveaux produits chimiques écologiques à base d’huile essentielles d’agrumes.

Le limoncello fait partie d’un groupe de liqueurs qui présentent un « effet ouzo » (en référence à la boisson anisée consommée en apéritif). L’ouzo est une liqueur normalement transparente qui devient laiteuse et opaque lorsqu’on y ajoute de l’eau, un phénomène qui peut perdurer pendant une longue période.

Cet effet est dû à un mélange d’alcool, d’huile et d’eau, qui intéresse particulièrement les scientifiques comme le Dr Chiappisi et le Dr Isabelle Grillo, coauteur de l’étude. Puisque l’huile et l’eau sont deux liquides non miscibles, il est nécessaire d’ajouter un détergent ou une molécule tensioactive similaire pour réussir à les mélanger. Pour l’ouzo et les liqueurs du même type, c’est l’alcool qui agit comme un liant, à moins que l’on n’ajoute davantage d’eau.

C’est la possibilité de créer une émulsion sans savon pour solubiliser dans l’eau une molécule hydrophobe qui présente un grand intérêt pour les industries chimiques spécialisées.

« L’intérêt pour l’étude des propriétés de ce type d’émulsion a émergé dans les années 2010 (en fait je ne sais pas bien d’où vient cette date !!!), puisque l’ajout d’un surfactant qui peut être difficile à retirer par la suite n’est plus nécessaire », explique le Dr Chiappisi. L’étude du limoncello en particulier pourrait aider les secteurs en développement à mettre au point des solvants « verts » à base d’huiles essentielles d’agrumes, ainsi que des matières plastiques et des insecticides plus écologiques.

Un limoncello de bonne qualité est forcément trouble (le Dr Chiappisi n’envisagerait même pas de boire un limoncello qui ne le serait pas), et c’est un phénomène qui perdure pendant toute la durée de vie de la liqueur. La composition chimique du limoncello a déjà été étudiée par le passé, mais l’expérience menée par le Dr Chiappisi, publiée dans la revue ACS Omega, est la première qui s’intéresse à la structure physique à l’échelle microscopique et montre que le limoncello est formé de minuscules gouttelettes d’huile, d’un rayon d’environ 100 nm, en suspension dans un mélange d’alcool et d’eau. 

On sait que la structure physique des aliments conditionne leur saveur, leur apparence et leur durée de conservation, mais il est souvent difficile de l’étudier à l'échelle microscopique. Pour regarder ces minuscules gouttelettes, le Dr Chiappisi a placé des échantillons de limoncello dans un faisceau de neutrons. « L’angle de sortie du faisceau de neutrons est différent de celui d’entrée, ce qui nous permet de reconstruire la structure de l’échantillon », précise-t-il.

Le Dr Chiappisi a choisi d’utiliser la diffusion des neutrons parce qu’il s’agit de l’une des rares techniques permettant d'étudier la structure des matières molles, telles que le limoncello, à une échelle de longueur comprise entre 1 et plusieurs centaines de nanomètres. La diffusion des neutrons est sensible au nombre de neutrons contenus dans une molécule. L’huile essentielle de citron étant naturellement riche en hydrogène, qui ne contient pas de neutrons, l’équipe a travaillé dans un mélange d’eau et d’éthanol deutérié, un isotope de l’hydrogène doté d’un neutron supplémentaire.

Le limoncello se boit dans des verres très frais et doit être dégusté lentement, ce qui implique qu’il a souvent le temps de se réchauffer. Pour déterminer si les propriétés physiques changent à mesure que la température augmente, le Dr Chiappisi a fait varier la température de mesure de la diffusion des neutrons. Il a également modifié les quantités de sucre et d’eau dans son limoncello.

Quantifier la quantité d’huiles essentielles de son limoncello artisanal s’est révélé plus simple. Pour ce faire, il a eu recours à une technique fréquemment employée appelée résonance magnétique nucléaire (RMN) du proton afin de mesurer la teneur en huile à l'échelle moléculaire.  « Je voulais connaître la quantité d’huile de citron extraite de ces agrumes », confie-t-il.

À sa grande surprise, ni la teneur en sucre ni la température n’ont eu d’effet sur la structure du limoncello à l'échelle microscopique. Toutefois, la variation de la teneur en huile et en eau modifie l’équilibre entre la quantité d’huile solubilisée à l’échelle moléculaire dans le mélange ethanol-eau et celle formant les gouttelettes.

Lorsque la teneur en eau est d’environ 50 %, ce qui correspond à un limoncello de bonne qualité acheté dans le commerce, seuls les deux tiers de l’huile sont encapsulés dans des gouttelettes. Le reste est libre et donne le parfum de citron, qui fait tout le charme de cette boisson.

Quant à la question de savoir comment l’alcool crée ces minuscules gouttelettes, le Dr Chiappisi répond que « cela nécessitera probablement des années de recherche et la contribution d’autres scientifiques ». Certaines simulations sur ordinateur suggèrent que les gouttelettes d'huiles enrichies d’alcool ont une surface souple, ce qui leur permet de fluctuer dans l’eau. « Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse », commente-t-il.

En parallèle, le Dr Chiappisi espère que son étude contribuera au développement d'émulsions sans surfactant pour diverses applications, qu’il s’agisse de catalyseurs industriels ou d’huiles essentielles naturelles utilisées dans des produits chimiques spécialisés.


Instrument:  D11, instrument de diffusion de neutrons aux petits angles 


Contacts:


Re.: ACS Omega: looking into Limoncello: The Structure of the Italian Liquor Revealed by Small-Angle Neutron Scattering.
DOI 10.1021/acsomega.8b01858