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Neutrons, cristaux formés dans l'espace et enzymes

Un article récemment publié dans Cell Reports Physical Science révèle comment des chercheurs ont, pour la première fois, directement visualisé la position des atomes d'hydrogène dans les éléments fonctionnels clés d'une enzyme qui joue un rôle important dans le métabolisme de nombreux micro-organismes. Les mesures de diffraction nutroniques effectuées sur LADI III sur des cristaux de protéines perdeutérées produits dans des conditions de microgravité à la Station spatiale internationale (ISS) ont été les éléments clés de ce travail.

Contrairement aux rayons X, qui interagissent avec les électrons autour des noyaux, les neutrons interagissent directement avec les noyaux eux-mêmes.
Cela signifie que l'hydrogène (et son isotope plus lourd, le deutérium) diffuse les neutrons, ce qui en fait un outil idéal pour sonder la position des atomes d'hydrogène dans les macromolécules biologiques. Cependant, pour que la diffraction des neutrons fonctionne, il faut que les cristaux soient bien ordonnés et relativement grands. C'est là que la microgravité et l'ISS entrent en jeu.

Comprendre le titre de l'article : une approche simple et rapide

"La diffraction neutronique d'un cristal cultivé en microgravité révèle les hydrogènes du site actif de la forme aldimine interne de la tryptophane synthase" . Aussi intrigant soit-il, le titre de cette publication n'est pas des plus faciles à assimiler. De quoi s'agit-il exactement ? Adoptons une approche scientifique en le découpant en morceaux plus digestes. Nous pourrons ensuite l'examiner élément par élément, en  remontant à la source.

Enzymes

Notre première "bouchée" est la « tryptophane synthase (TS) ». Il s'agit d'une protéine, une enzyme, qui accélère les réactions chimiques chez les organismes vivants. La TS est impliquée dans les processus métaboliques de nombreux micro-organismes différents, y compris des bactéries pathogènes telles que Salmonella enterica et Mycobacterium tuberculosis.

Passons maintenant à la deuxième bouchée : la TS est sous sa « forme aldimine interne ». Il y a pas mal de biochimie derrière ces trois mots, mais ce que nous devons en retenir est en fait simple. Certaines enzymes ont besoin de l'ajout d'une petite molécule, appelée cofacteur, pour fonctionner. Le cofacteur de la TS est le pyridoxal 5′-phosphate, ou PLP en abrégé. Le PLP est la forme active de la vitamine B6, présente dans pratiquement toutes les formes de vie et cruciale pour d'innombrables fonctions cellulaires. L'aldimine interne est tout simplement un complexe enzyme-PLP stable. Les enzymes dépendantes du PLP sont particulièrement intéressantes car elles forment une famille vaste et polyvalente, commune à de nombreux organismes. Cette famille comprend de nombreuses enzymes qui jouent un rôle dans les maladies humaines ou qui présentent un intérêt pour les applications d'ingénierie enzymatique. Malgré cet intérêt évident, des questions importantes demeurent quant au fonctionnement réel des enzymes dépendantes du PLP.

Et maintenant, notre troisième bouchée : les hydrogènes du site actif du complexe TS-PLP ont été révélés. Pour comprendre et modéliser la structure et le fonctionnement des enzymes, les scientifiques doivent les visualiser au niveau atomique. Environ la moitié des atomes des protéines sont des atomes d'hydrogène. Plus important encore, les atomes d'hydrogène des sites actifs (c'est-à-dire les parties de la molécule impliquées dans le fonctionnement de l'enzyme) sont réorganisés pendant la réaction. Comprendre où se trouvent les atomes d'hydrogène et comment ils se déplacent est donc essentiel pour comprendre le fonctionnement de l'enzyme.

Des cristaux cultivés dans l'espace

Notre prochaine "bouchée" est le « cristal cultivé en microgravité ».

Les protéines sont généralement amorphes à l'état solide. Cependant, dans des environnements appropriés, elles peuvent cristalliser. Les scientifiques peuvent observer les cristaux de protéines au niveau atomique en utilisant la diffraction des rayons X et des neutrons, puis créer des modèles 3D des molécules. Plus les cristaux sont grands et exempts de défauts, meilleurs sont les résultats. Or, cultiver de grands cristaux de protéines bien ordonnés sur Terre est un défi, et la gravité fait partie du problème.

Pour surmonter cela, les grands cristaux (≥ 0,5 mm$^3$) sans défauts utilisés dans cette étude ont été cultivés à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS) sur une période d'environ six mois, au cours de laquelle ils ont parcouru environ 80 millions de kilomètres.

Diffraction neutronique

Nous arrivons maintenant au plus gros morceau de tous : la « diffraction neutronique ». Les rayons X et les neutrons nous permettent tous deux de regarder à l'intérieur des cristaux, et leurs pouvoirs sont souvent complémentaires. Les rayons X interagissent avec la densité électronique autour des atomes, ce qui signifie qu'en diffraction des rayons X, les positions des atomes d'hydrogène fonctionnels clés (avec un seul électron) restent indéterminées. Les neutrons, en revanche, interagissent avec les noyaux atomiques, ce qui veut dire que l'hydrogène (et son isotope plus lourd, le deutérium) diffusent les neutrons aussi bien que les noyaux plus lourds. Les neutrons sont donc idéaux pour sonder l'emplacement des atomes d'hydrogène dans les macromolécules biologiques. Avec les neutrons, cependant, le défi est de disposer de cristaux grands et bien ordonnés. D'où l'utilisation d'un cristal cultivé en microgravité.

Les données de diffraction neutronique ont été collectées sur l'instrument LADI-III de l'ILL, un diffractomètre de Laue dédié à la recherche en biologie à haute résolution (1,5 - 2,5 Å). LADI-III utilise un grand détecteur de surface cylindrique composé de plaques image sensibles aux neutrons, qui entourent complètement le cristal et permettent d'enregistrer simultanément un grand nombre de taches de diffraction. Une gamme de longueurs d'onde neutroniques de 2,85 à 3,80 Å a été utilisée pour la collecte des données, avec quatre orientations cristallines différentes échantillonnées et un total de 57 images collectées. Le principe est le suivant : le faisceau de neutrons est diffracté par les noyaux atomiques à l'intérieur du cristal, produisant un motif de taches de diffraction. Comme il existe une relation spécifique entre le motif de diffraction 2D et la structure 3D à l'intérieur du cristal, les scientifiques peuvent utiliser les informations de ces motifs pour déterminer la structure 3D, y compris les très importants atomes d'hydrogène.

Afin de faciliter la localisation des atomes d'hydrogène individuels, la protéine a été produite en utilisant une technique appelée perdeutération : tous les atomes d'hydrogène de la molécule ont été remplacés par du deutérium pour les rendre plus visibles. L'ILL offre à sa communauté d'utilisateurs et à ses chercheurs internes non seulement des instruments de haute performance, mais aussi des plateformes et des laboratoires hautement spécialisés pour préparer et caractériser les échantillons avant, pendant et après les expériences neutroniques, certains d'entre eux dans le cadre de partenariats avec des instituts voisins. En particulier, le Laboratoire de Deutération de l'ILL (D-Lab) peut produire une variété de molécules biologiques partiellement ou entièrement deutérées (perdeutérées), y compris des protéines.

Et c'était la dernière partie du titre ! «La diffraction neutronique d'un cristal cultivé en microgravité révèle les hydrogènes du site actif de la forme aldimine interne de la tryptophane synthase"  est maintenant, espérons-le, beaucoup plus facile à déchiffrer après l'avoir examiné morceau par morceau, en petites bouchées. Ce qui ressort, c'est l'importance de comprendre le fonctionnement des enzymes impliquées dans la propagation des infections et le rôle central des données de diffraction neutronique dans cette recherche.

Conclusion

Finally, combining the neutron diffraction data with X-ray diffraction data, the team were able to report the 2.1 Å resolution joint X-ray/neutron (XN) structure of TS with PLP in the internal aldimine form where the positions of all atoms have been determined, as well as providing important insights into its functioning. This investigation is part of ongoing biomolecular crystallization studies using microgravity that span decades. It is an example of how fundamental research conducted over a long timescale with cumulative progress can one day enable the rapid development of a much-needed application, as we have seen recently during the pandemic crisis. The work involved ILL’s Life Sciences and Large Scale Structures groups, the Partnership for Structural Biology (PSB), as well as the LINXS Institute for Advanced Neutron and X-ray Science (Lund, Sweden) and the Oak Ridge National Laboratory (Oak Ridge, USA).

Finalement, en combinant les données de diffraction neutronique avec celles de diffraction des rayons X, l'équipe a pu rapporter la structure conjointe rayons X/neutrons (XN) de la TS avec PLP sous sa forme aldimine interne, à une résolution de 2,1 Å. Cette analyse a permis de déterminer la position de tous les atomes et a fourni des informations importantes sur son fonctionnement. Cette recherche s'inscrit dans le cadre d'études de cristallisation biomoléculaire en microgravité qui s'étendent sur plusieurs décennies. C'est un exemple de la façon dont la recherche fondamentale, menée sur le long terme avec des progrès cumulatifs, peut un jour permettre le développement rapide d'une application nécessaire, comme nous l'avons vu récemment lors de la crise pandémique du COVID-19. Ce travail a impliqué les groupes LSS de l'ILL, le Partenariat pour la Biologie Structurale (PSB), ainsi que le LINXS Institute for Advanced Neutron and X-ray Science (Lund, Suède) et l'Oak Ridge National Laboratory (Oak Ridge, USA).

ILL Instrument: LADI-III, A quasi-Laue diffractometer for biology

Reference: Neutron diffraction from a microgravity-grown crystal reveals the active site hydrogens of the internal aldimine form of tryptophan synthase, https://doi.org/10.1016/j.xcrp.2024.101827[Open Access]

ILL Contacts: Matthew Blakeley (LADI-III) & Juliette Devos (D-Lab)

Contact: Timothy C. Mueser (University of Toledo, USA)