Un coup de turbo pour la recherche sur les batteries à semi-conducteurs : de nouvelles cellules permettent des observations en temps réel
La recherche sur les batteries à semi-conducteurs a fait un bond en avant grâce à la création de la toute première cellule d'échantillon. Cette innovation permet d'utiliser la diffraction neutronique operando de l'ILL pour obtenir des informations uniques en temps réel. Cette avancée majeure est le fruit d'une collaboration entre l'ILL et le laboratoire LEPMI de Grenoble, dans le cadre du projet OpInSolid financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR).
L'engagement de l'Union européenne à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 place les batteries au cœur de cet enjeu. Les batteries jouent un rôle clé, qu'il s'agisse d'alimenter la mobilité électrique ou de faciliter l'intégration massive des énergies renouvelables. Alors que la demande de batteries explose, la recherche doit impérativement proposer des solutions de nouvelle génération. L'objectif est d'allier haute performance, fiabilité et longévité à la durabilité environnementale, tout en étant durables, sûres et abordables. Si la technologie lithium-ion a dominé le marché des batteries au cours des deux dernières décennies, la prochaine grande percée est attendue du côté des batteries à électrolyte solide. En remplaçant les électrolytes liquides conventionnels, ces dernières promettent un véritable saut qualitatif en matière de performances électrochimiques : une sécurité accrue, une meilleure densité énergétique (permettant de stocker plus d’énergie par unité de volume ou de poids), une charge plus rapide et une durée de vie prolongée.
Les techniques neutroniques sont un outil puissant pour faire progresser les connaissances dans ce domaine en pleine expansion. « Lorsque les batteries au lithium-ion tombent en panne, c'est souvent parce que les ions de lithium se sont égarés lorsqu''ils migrent à travers l'électrolyte, entre les électrodes négative et positive, pendant la charge ou la décharge », explique Ove Korjus, chercheur au LEPMI1. Grâce à leur sensibilité particulière au lithium, les neutrons permettent de visualiser et de quantifier directement ces ions. Lorsqu'elles sont utilisées dans des conditions operando, ces techniques permettent de surveiller les batteries en temps réel pendant leur fonctionnement, révélant ainsi des informations cruciales qui passeraient inaperçues en raison du délai entre l'événement et une analyse ultérieure ex situ.
Les techniques neutroniques et de rayonnement synchrotron offrent des informations complémentaires sur les batteries à électrolyte solide. «Alors que les neutrons sont particulièrement efficaces pour détecter le lithium et distinguer des éléments proches dans le tableau périodique – comme le nickel, le manganèse et le cobalt dans le matériau d'électrode – l'avantage s'inverse lorsqu'il s'agit du flux, explique Korjus. « En raison de leur flux beaucoup plus faible, les installations neutroniques nécessitent une quantité d'échantillon nettement plus importante que les synchrotrons. À l'ESRF2, 1 mg d'électrode ont suffit, alors que 200 mg étaient nécessaires à l'ILL, bien qu'il s'agisse de la source de neutrons continus la plus intense au monde ! Nous aurions aimé augmenter encore la masse de l'échantillon, mais les électrodes doivent être maintenues aussi fines que possible pour préserver la conductivité ionique de l'électrolyte. »
Étant donné la masse limitée des échantillons, il était essentiel que cellule conçue pour accueillir la batterie à électrolyte solide pendant la diffraction neutronique opérando soit aussi transparente que possible aux neutrons, de façon à ce qu'elle n'ait qu'un impact minimal sur les données. Ce défi a été rélevé en utilisant un alliage de titane-zirconium, qui répondait également à l'exigence de conductivité électrique. « Bien que la masse de l’échantillon soit limitée pour l’analyse par neutrons, elle représente une électrode relativement épaisse pour une batterie à électrolyte solide », explique Claire Villevieille, directrice de recherche au CNRS et coordinatrice du projet OpInSolid. « Le prochain défi était donc de faire fonctionner une cellule à électrolyte solide multicouche avec une charge d'électrode élevée tout en conservant des performances comparables à celles d'une cellule de laboratoire. » La conception a également intégré d’autres contraintes techniques : matenir une séparation efficace des électrodes positive et négative pour éviter les courts-circuits, intégrer d'un système d'application de pression interne pour soutenir les cycles de charge/décharge répétés, et garantir de l'étanchéité de la cellule.
La cellule d'échantillon mise au point est une première mondiale : elle a été spécialement conçue pour la diffraction neutronique opérando des batteries à électrolyte solide. Les détails sont publiés dans la revue ACS Materials Letters. « Dans le cadre de cette étude, nous avons comparé des données collectées à partir du même échantillon en utilisant la diffraction neutronique operando avec la nouvelle cellule sur le diffractomètre à haut flux D20 de l'ILL, avec des mesures ex situ obtenues en utilisant une cellule conventionnelle sur l'instrument à haute résolution D2B de l'ILL », explique Emmanuelle Suard, scientifique à l'ILL responsable de l'instrument D2B. La forte concordance entre les deux séries de données confirme ll'efficacité, la fiabilité et la pertinence de la nouvelle cellule. Cette validation ouvre la voie à l'utilisation des informations uniques en temps réel qu'offre la diffraction neutronique pour faire progresser la recherche sur les batteries à électrolyte solide.
Les chercheurs prévoient d'utiliser la cellule nouvellement mise au point pour étudier une gamme de matériaux d'électrodes solides. À plus long terme, l'équipe cherche également à déterminer si la cellule pourrait être adaptée pour d'autres études opérando utilisant des techniques neutroniques complémentaires, telles que la diffusion de neutrons aux petits angles ou l'imagerie.« L'imagerie neutronique opérando en utilisant, par exemple, l'instrument d'imagerie NeXT de l'ILL – permettrait de visualiser le mouvement des ions de lithium en temps réel », explique Korjus.
Plus largement, l'ILL est un institut de service qui met chaque année ses installations de pointe et son expertise à la disposition d'environ 1 500 chercheurs issus de plus de 40 pays. La nouvelle cellule d'échantillon ajoute un atout précieux. Cette cellule permet de mener des expériences opérando très poussées, ce qui contribue à faire progresser la recherche sur les batteries à électrolyte solide. « Grenoble est un endroit incroyable pour ce type de recherche », explique Korjus. « Avec à la fois l'ILL et l'ESRF – les installations de neutrons et de synchrotrons les plus puissantes au monde – il n'y a vraiment aucun autre endroit comparable ! »
(1) Laboratoire Electrochimie et Physicochimie des Matériaux et des Interfaces, INP, Université Grenoble Alpes.
(2) European Synchrotron Radiation facility, Grenoble
Référence: O. Korjus, S. A. Kumar, L. Gendrin, S. Vial, C. Villevieille, E. Suard, "Enabling Operando Neutron Diffraction for Solid-State Battery Studies", ACS Materials Lett., 1 July 2025, 2725
https://doi.org/10.1021/acsmaterialslett.5c00596
Contact ILL: Emmanuelle Suard