Les situations extrêmes exigent des molécules extrêmes
Les bactéries peuvent être étonnamment résistantes — les techniques basées sur les neutrons expliquent pourquoi.
Certaines bactéries aiment la chaleur, littéralement, puisqu'elles survivent dans des sources thermales à des températures atteignant 100 °C . D'autres bactéries résistent au froid extrême, aux pressions intenses ou aux acides puissants.
L'une des raisons pour lesquelles elles peuvent s'adapter à de telles conditions extrêmes réside dans le fait que leurs "coques" protectrices – leurs membranes composées de différents types de graisses – contiennent une catégorie particulière de molécules. Ces molécules sont appelées bolaamphiphiles et possèdent à la fois des parties hydrophiles (« qui aiment l'eau ») et lipophiles (« qui aiment les graisses »). Jusqu'à présent, leur influence exacte sur les membranes bactériennes était assez mal comprise – mais une équipe internationale de scientifiques a récemment franchi des étapes importantes pour répondre à cette question en utilisant des neutrons à l'ILL.
Les bolaamphiphiles peuvent s'associer en membranes monocouches. Or, les phospholipides — le constituant majeur des membranes biologiques — s'associent en structures bicouches.« Nous avons posé les questions fondamentales suivantes : », explique Niki Baccile, co-investigateur principal et auteur correspondant de l'article. « Comment les membranes monocouches de bolaamphiphiles, plus minces, affectent-elles la plasticité des membranes modèles de phospholipides ? Et comment la plasticité et la morphologie de la membrane sont-elles influencées par d'importants paramètres externes, tels que le pH ? »
Pour mener leurs investigations, les scientifiques ont combiné des techniques de microscopie avec des mesures de diffusion de neutrons à l'ILL — la diffusion des neutrons aux petits angles (SANS) et l'écho de spin neutronique (NSE). « Le SANS est la technologie non destructive idéale pour étudier les molécules dans la gamme de taille du nano au micromètre », explique Lionel Porcar, responsable principal de l'instrument de diffusion aux petits angles D22 de l'ILL. Son collègue Ingo Hoffmann, du spectromètre à neutrons IN15, ajoute : « Le NSE permet de déchiffrer des mouvements moléculaires infimes. La combinaison du SANS et du NSE, en tant que techniques neutroniques complémentaires, est essentielle pour étudier des systèmes biologiques tels que ces vésicules. »
L'équipe a observé que les molécules de bolaamphiphile se mélangeaient aux membranes artificielles à toutes les valeurs de pH. En utilisant la diffusion de neutrons aux petits angles (SANS), l'équipe a montré que le processus de mélange amincissait les membranes et les transformait, de structures initialement multilamellaires (c'est-à-dire de multiples membranes se recouvrant les unes et les autres comme les couches d'un oignon) à des structures unilamellaires. De manière complémentaire, la spectroscopie d'écho de spin neutronique (NSE) - qui se concentre sur la dynamique à l'intérieur des membranes - a révélé que celles-ci devenaient moins rigides après l'incorporation du bolaamphiphile à pH neutre. Fait intéressant, dans des conditions acides, les bolaamphiphiles rendaient les membranes plus rigides. L'équipe attribue ces importantes différences aux changements de forme des bolaamphiphiles qui dépendent du pH.
En utilisant des techniques de microscopie sophistiquées, les scientifiques ont également observé comment les mélanges bolaamphiphile-membrane donnaient naissance à des structures complètement nouvelles. « Nous avons été intrigués de voir que ces structures résultantes variaient également en fonction de la valeur du pH », explique Atul N. Parikh, co-chercheur principal de l'étude. « Par exemple, dans des conditions neutres et acides, les vésicules ont commencé à se rapprocher, formant des tubules, puis se sont subdivisées pour produire des vésicules plus petites à l'intérieur de plus grandes. » À pH basique, la formation de vésicules a été observée une fois de plus – mais cette fois, elles bourgeonnaient à l'extérieur de leurs « sœurs » plus grandes.

Ce remodelage de la membrane sensible à l'environnement et dépendant du pH, sans perturbation du motif essentiel de la bicouche, illustre comment des perturbations locales de l'empilement au niveau moléculaire peuvent se traduire par des changements morphologiques globaux au niveau du système, permettant aux membranes d'acquérir une sensibilité environnementale et une adaptabilité en temps réel.
« Après s'être mélangées avec le bolaamphiphile, nos membranes artificielles n'avaient pas seulement changé de structure, mais avaient également acquis une sensibilité au pH qu'elles n'avaient pas auparavant », souligne Niki Baccile. « Il est fascinant de voir qu'en ajoutant simplement des molécules à des membranes lipidiques modèles, nous pouvons les rendre réactives aux stimuli externes ».
Ces expériences constituent une étape importante vers la compréhension de la manière dont les tout premiers ancêtres des cellules vivantes – et, plus tard, les bactéries – ont pu développer une réactivité et une résistance à leur environnement. De telles études sont une grande source d'inspiration pour continuer à sonder les mystères des origines de la vie et de son évolution perpétuelle.
Référence: Baccile N, Vyas A, Ramanujam R, Hermida-Merino D, Hoffmann I, Porcar L, Parikh AN. Driving a stimuli-responsive wedge in the packing of phospholipid membranes using bolaamphiphile intercalants. ACS Nano 2025, 19, 32629−32642.
https://doi.org/10.1021/acsnano.5c10120
Contacts ILL: Ingo Hoffmann et Lionel Porcar


