Le campus EPN de Grenoble : un pôle unique pour la recherche en biologie structurale
Le campus européen Photon et Neutron (EPN) de Grenoble est un site unique au monde, regroupant trois organisations internationales de recherche scientifique de premier plan – l'ILL, l'EMBL et l'ESRF – ainsi que l'Institut de Biologie Structurale (IBS). Ce campus offre un ensemble inégalé de lignes de lumière, d'instruments et de plateformes de support, permettant des recherches approfondies en biologie structurale. Les neutrons y jouent un rôle unique et hautement complémentaire. Un article de synthèse sur les perspectives actuelles et futures de la biologie structurale sur le campus EPN vient de paraître dans le Journal of Synchrotron Radiation, soulignant encore davantage son importance.
À l'occasion du 50ème anniversaire du rayonnement synchrotron SSRL de Stanford et de la cristallographie des protéines, un article de fond met en lumière les techniques et infrastructures de pointe offertes par le campus EPN de Grenoble. Cette publication explore également les contributions majeures et les perspectives d'avenir de la biologie structurale sur ce site unique.
L'histoire du campus EPN de Grenoble, un pôle d'excellence en biologie structurale, débute en 1967 avec la fondation de l'Institut Laue-Langevin (ILL), dont les premiers neutrons ont été produits en 1971. Une étape clé fut l'implantation, dès 1975, d'une antenne (aujourd'hui unité) du Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL) à proximité de l'ILL, favorisant de nombreuses collaborations et des avancées techniques majeures grâce à l'utilisation des neutrons pour l'étude du vivant. Le site connut une expansion significative avec la création du Synchrotron Européen de Rayonnement Synchrotron (ESRF) en 1988. Afin d'augmenter le potentiel scientifique combiné de l'ESRF et de l'ILL dans le domaine de la biologie structurale, le CEA et le CNRS fondèrent l'Institut de Biologie Structurale (IBS) en 1992, qui rejoignit par la suite le campus EPN en 2013. Cette dynamique culmina en 2002 avec la création du Partenariat pour la Biologie Structurale (PSB), réunissant l'EMBL, l'ESRF, l'IBS et l'ILL, dans le but d'établir un environnement multidisciplinaire unique pour une biologie structurale intégrée.
Aujourd'hui, grâce à des programmes continus de mise à niveau et de modernisation, le campus EPN offre des installations à la pointe de la technologie. À travers leur Groupe Conjoint de Biologie Structurale (JSBG) et au-delà, l'ESRF et l'EMBL proposent des lignes de lumière et des instruments dédiés aux études de biologie structurale, à la cryo-microscopie électronique et à la spectroscopie, ainsi que d'autres plateformes de support essentielles
L'ILL joue un rôle essentiel dans la recherche neutronique en biologie structurale, grâce à des laboratoires dédiés au marquage isotopique au deutérium (deutériation) des échantillons (D-Lab et L-Lab). L'institut met également à disposition deux instruments de diffusion aux petits angles de neutrons (SANS), D11 et D22 (BioSANS), optimisés pour l'analyse de la structure et de la fonction de systèmes biologiques complexes, ainsi que deux diffractomètres pour la cristallographie neutronique (DALI et LADI-III). Les applications de la diffusion neutronique offrent des informations cruciales et uniques sur la structure et la dynamique des systèmes biologiques à différentes échelles de temps et de longueur, complétant ainsi d'autres techniques. L'utilisation de la deutériation permet d'en ugmenter les avantages spécifiques.
"La capacité à produire des molécules biologiques marquées au deutérium sur mesure est essentielle pour optimiser les études de diffusion neutronique en solution, cristallographie, réflectométrie et dynamique. Cela améliore considérablement la portée, la qualité et l'efficacité de la recherche dans ces domaines", explique Frank Gabel, responsable du groupe Biologie, Deutériation, Chimie et Matière molle à l'ILL, qui coordonne les plateformes de support. Il ajoute : « Les laboratoires de Deutériation (D-Lab) et de Lipides (L-Lab) de l'ILL ont mené des programmes utilisateurs très fructueux au cours des dernières décennies, fournissant de nombreux échantillons sur mesure pour un grand nombre d'expériences neutroniques réussies, réalisées à la fois par des collaborateurs du réseau PSB et par des groupes d'utilisateurs internationaux de l'ILL.
À l'ILL, D11 et D22 sont les instruments phares dédiés à la diffusion de neutrons aux petits angles (SANS) pour l'étude des solutions biologiques. D22 offre un rapport flux/bruit optimal et une configuration SAXS/SANS combinée, tandis que D11 permet d'accéder à des valeurs de Q plus petites. Selon Anne Martel, scientifique à l'ILL, co-responsable de D22, « BioSANS occupe une place particulière dans le panorama des techniques de biologie structurale : il fournit des informations uniques sur les complexes macromoléculaires en solution et leurs changements conformationnels en réponse à des stimuli externes. En complément de la cristallographie aux rayons X et de la cryo-microscopie électronique, son interprétation permet une compréhension plus globale des processus biologiques tels qu'ils se déroulent in vivo. »
Concernant la cristallographie neutronique, Matthew Blakeley, scientifique de l'ILL responsable des instruments LADI-III et DALI, explique qu'elle « complète la cristallographie aux rayons X basée sur les synchrotrons en localisant précisément les atomes d'hydrogène et de deutérium dans les structures macromoléculaires avec une résolution de 1,5 à 2,5 Angströms. De plus, cette technique permet la collecte de données à partir d'un monocristal à température ambiante ou cryogénique sans dommage causé par le rayonnement. L'identification des positions H/D fournit des informations cruciales sur la protonation, les liaisons hydrogène et l'hydratation, ce qui est essentiel pour les études enzymatiques, l'analyse de la liaison des ligands et la conception de médicaments basée sur la structure. »

La biologie structurale se consacre à l'étude des grandes molécules essentielles aux organismes vivants, telles que les protéines et les acides nucléiques. La structure tridimensionnelle de ces macromolécules est intimement liée à leur fonction, et toute modification structurale peut altérer cette dernière. Cette recherche fondamentale est cruciale pour comprendre de nombreuses maladies, concevoir des outils diagnostiques plus performant, des vaccins ou des thérapies.
Pour explorer l'intérieur de la matière biologique et révéler la structure et la dynamique des molécules de manière complémentaire, diverses techniques sont employées, notamment la diffusion de rayons X et de neutrons, ainsi que la cryo-microscopie électronique (Cryo-EM) et la spectroscopie. Les expériences sont ensuite interprétées à l'aide de modèles et de simulations informatiques.
L'article met clairement en évidence plusieurs défis majeurs, concernant les développements futurs. Parmi ceux-ci, le rôle crucial de l'étude des propriétés dynamiques des macromolécules pour comprendre leur fonction, ainsi que la puissance des approches multi-échelles et multimodales nécessitant l'intégration de différentes technologies de pointe pour aborder des questions biologiques complexes. Ensemble, ces innovations consolideront le campus EPN comme un centre névralgique de la biologie structurale intégrée, stimulant une recherche interdisciplinaire aux impacts transformateurs sur les sciences de la vie.