Le réchauffement climatique, causé par l'émission excessive de gaz à effet de serre et la consommation de combustibles fossiles, exige des mesures rapides. Une stratégie cruciale pour contrecarrer ses effets potentiellement nocifs est la mise en œuvre de technologies durables qui ne dépendent pas des énergies fossiles. Dans ce contexte, les piles à combustible à électrolyte polymère (PEFC) constituent des exemples particulièrement prometteurs. Leur potentiel est immense, notamment dans les domaines du transport et des applications tant portables que fixes.
Au sein des PEFC, le gaz est transporté vers l'ensemble membrane-électrode (MEA) via des canaux intégrés dans ses plaques bipolaires (des composants conducteurs qui connectent les cathodes et les anodes des cellules voisines dans un empilement de piles à combustible). Ces canaux, appelés « champs d'écoulement », sont conçus sous des formes serpentines (avec des designs à un, deux ou plusieurs canaux) ou, alternativement, s'étendent parallèlement les uns aux autres.
L'eau est le seul produit chimique issu des réactions qui se déroulent à l'intérieur des PEFC. L'évacuation de cette eau doit être gérée avec soin, car une quantité excessive peut partiellement bloquer les canaux de champ d'écoulement, entraînant ainsi un engorgement et une réduction des performances de la cellule. Trop peu d'eau, et la cellule se dessèche, ce qui diminue la mobilité des protons et peut également nuire aux performances des PEFC. Comprendre comment l'eau est distribuée dans les canaux est donc crucial pour optimiser la conception des futures générations de piles à combustible.
Des études antérieures, tant expérimentales que théoriques, ont examiné la gestion de l'eau et l'engorgement des canaux dans les PEFC. Cependant, une comparaison systématique en quatre dimensions de l'influence des différentes configurations de canaux fait encore défaut à ce jour. Ce manque de connaissances a motivé une étude menée par une équipe de chercheurs de Grande-Bretagne, d'Allemagne et de l'ILL.
« La sensibilité unique des neutrons à l'hydrogène a été déterminante pour cette expérience. Pour réaliser ces mesures, nous avons exploité avec succès les capacités de tomographie neutronique à haute vitesse de NeXT », explique Lukas Helfen, l'un des responsables de l'instrument NeXT. Les scientifiques ont pu observer l'intérieur des cellules in operando, ce qui a rendu leur expérience très proche des conditions réelles. Le collègue de Lukas, Alessandro Tengattini, ajoute : « Notre dispositif expérimental nous a permis de les faire pivoter en continu, garantissant ainsi que nous pouvions reconstituer leurs images tomographiques sous n'importe quel angle sans aucune lacune dans l'acquisition des données. » La tomographie a été choisie pour séparer sans ambiguïté les distributions dans le plan côté anode et côté cathode. Le défi consistait à atteindre une résolution spatiale relativement élevée et un contraste d'image suffisant avec des durées de balayage inférieures à la minute (36 s).
Les chercheurs ont visualisé l'évolution du volume d'eau contenu dans les champs d'écoulement en fonction de la densité de courant. « Bien que les trois type de designs aient montré une hydratation complète de l'ensemble membrane-électrode (MEA), la configuration à canaux parallèles (PAR) semblait moins apte à évacuer efficacement l'eau des canaux de conduction des gaz, contrairement aux conceptions en serpentin simple et double », explique Jennifer Johnstone-Hack, première auteure de l'étude. En effet, les serpentins se remplissaient plus lentement et présentaient des volumes d'eau plus faibles à la cathode tout en maintenant des niveaux d'eau suffisants pour hydrater la cellule, ce qui reflète une meilleure capacité de gestion de l'eau par rapport à la conception parallèle.
Conformément aux prévisions théoriques, l'eau a été trouvée principalement dans les coudes extérieurs du canal en serpentin simple, où la vitesse d'écoulement est plus faible. La conception à canal unique a également pu purger efficacement de grandes quantités d'eau (appelées « bouchons »). En revanche, en raison des quatre canaux dans la conception parallèle moins performante, la vitesse d'écoulement dans chaque canal était plus faible, ce qui a entraîné une accumulation significative d'eau dans plusieurs canaux qui n'a pas pu être éliminée efficacement.
Grâce à la configuration expérimentale sophistiquée et à la résolution spatio-temporelle unique offertes par NeXT, l'équipe a également pu étudier la formation et l'évolution des gouttelettes d'eau individuelles au sein des champs d'écoulement. Quelle que soit la conception des canaux, le nombre de gouttelettes a diminué avec le temps à mesure qu'elles fusionnaient pour former des gouttelettes plus grandes. Cependant, des différences importantes ont été observées concernant la morphologie des gouttelettes :
- dans la conception en serpentin simple, les gouttelettes présentaient soit une morphologie de « bouchon » , soit elles tapissaient les surfaces des canaux sous forme de films minces
- pour la conception PAR (parallèle), l'évolution des gouttelettes commençait par une forme de bouchon, pour finalement fusionner en une grosse gouttelette
Il est intéressant de noter que dans la conception en serpentin double, un canal était rempli de « bouchons » d'eau, tandis que le second contenait de nombreuses gouttelettes isolées.
Globalement, la conception en serpentin a clairement montré des avantages en matière de gestion de l'eau. Ces résultats démontrent la puissance de l'imagerie neutronique pour la visualisation directe du mouvement de l'eau dans des espaces confinés et sa pertinence immédiate pour les applications industrielles.
« C'est la première étude qui compare directement l'effet de différentes conceptions de champs d'écoulement sur la gestion de l'eau et les performances des cellules, et qui a quantifiié les caractéristiques des gouttelettes d'eau dans des PEFC en fonctionnement en quatre dimensions », affirme Jennifer Johnstone-Hack. « Nous espérons que nos résultats favoriseront la mise au point de champs d'écoulement optimisés, essentiels à la concrétisation des piles à combustible durables et de haute performance des prochaines générations.»
Référence: Hack J, Ziesche RF, Fransson M, Suter T, Helfen L, Couture C, Kardjilov N, Tengattini A, Shearing P, Brett D. Understanding water dynamics in operating fuel cells by operando neutron tomography: investigation of different flow field designs. Journal of Physics: Energy. 2024 Apr 12;6(2):025021.
Contacts ILL: Lukas Helfen, Alessandro Tengattini
Instrument ILL: NeXT