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Cap sur les matériaux énergétiques de demain : une exploration de la conduction ionique par les neutrons

Pour développer des batteries et des piles à combustible plus efficaces, il est fondamental de maîtriser la conduction ionique, un processus central dans les matériaux énergétiques.  Un article récemment publié offre un tutoriel complet combiné à une revue de recherche sur les expériences de diffusion quasi-élastique de neutrons (DQEN) menées sur des conducteurs d'ions oxyde, lithium et sodium. Une grande partie de ces travaux a été réalisée à l'ILL.

Les nouveaux matériaux énergétiques sont cruciaux pour relever les défis mondiaux du changement climatique et des problèmes environnementaux majeurs. La recherche se concentre activement sur des matériaux et dispositifs toujours plus performants. Les électrolytes solides, en particulier, constituent un composant indispensable pour des technologies comme les batteries rechargeables et les piles à combustible.

Les électrolytes conduisent l'électricité grâce à la présence d'ions mobiles. Par exemple, le sel de table (NaCl) se dissocie en ions Na+ et Cl- lorsqu'il est dissous dans l'eau, et la solution obtenue est conductrice. Les électrolytes solides sont des cristaux dans lesquels certains ions sont mobiles, ou des polymères. Bien qu'ils affichent une conductivité plus faible à température ambiante, les électrolytes solides présentent des avantages considérables en termes de sécurité, de stabilité et de durabilité. La conduction ionique, c'est-à-dire la mobilité des ions chargés à travers les électrolytes solides, est donc un processus central dans les matériaux énergétiques. Une compréhension approfondie de la conduction ionique est essentielle pour la recherche sur les matériaux énergétiques, et les neutrons peuvent être l'outil parfait pour sonder la conduction ionique.

Lorsque les neutrons sont diffusés par un matériau cristallin, le spectre d'énergie observé présente généralement une raie de diffusion élastique (aucune énergie n'est échangée avec l'échantillon) et un ensemble de raies d'énergie dues à la diffusion inélastique (correspondant à des échanges d'énergie de valeurs caractéristiques). La diffusion quasi-élastique de neutrons (DQEN) est un cas limite de la diffusion inélastique de neutrons : il y a un très faible transfert d'énergie entre les neutrons incidents et les atomes de l'échantillon, ce qui se traduit par un élargissement de la raie d'énergie élastique. De si minuscules transferts d'énergie peuvent être causés par des effets dynamiques dans l'échantillon, à savoir une dynamique diffusive, où le mouvement thermique des atomes entraîne leur transport net. C'est exactement la situation observée dans la conduction ionique.

La DQEN est donc une technique expérimentale idéale pour étudier la conduction ionique. Elle offre un éventail d'instruments permettant d'obtenir des informations sur des échelles de temps allant de la picoseconde à la nanoseconde, ainsi que des données géométriques clés sur les longueurs caractéristiques de la mobilité ionique. On peut citer, par exemple, les distances de saut au sein et entre les polyèdres d'oxydes métalliques, avec leurs environnements de coordination variables.

Le programme Endurance

Le programme de modernisation ILL Endurance, achevé en 2024 avec un budget d'environ 50 millions d'euros, a permis de réaliser plus de 30 améliorations et de créer de nouveaux instruments sur une période de huit ans. Pour la Diffusion Quasi-Élastique de Neutrons (DQEN), les trois spectromètres à temps de vol – IN5, SHARPER et PANTHER – représentent désormais la pointe de la technologie. Quant à la rétrodiffusion, l'instrument IN16B a bénéficié d'un nouveau guide à focalisation variable, améliorant considérablement ses performances en mode temps de vol (BATS). De plus, l'instrument à écho de spin grand-angle (WASP) offre de nouvelles perspectives en rendant cette technique de DQEN spécifique accessible avec des temps de mesure bien plus courts, et donc un débit plus élevé.

« La DQEN a fait ses preuves et possède un potentiel considérable dans ce domaine, offrant des perspectives complémentaires aux techniques courantes de laboratoire comme les mesures de conductivité et la RMN (Résonance Magnétique Nucléaire) à l'état solide », explique Ivana Radosavljevic Evans, de l'Université de Durham, auteure principale de la publication. Elle ajoute : « Pour cette raison, l'article se veut pédagogique afin d'attirer de nouveaux utilisateurs vers cette technique, qui n'est disponible que dans les grandes installations comme l'ILL. » L'objectif était d'écrire de manière à la fois rigoureuse et accessible aux chimistes, physiciens et spécialistes des matériaux qui ne sont pas experts en DQEN ou en diffusion neutronique en général.

La plupart des expériences présentées dans la publication ont été réalisées à l'ILL. En effet, de telles mesures nécessitent des neutrons de basse énergie (dits "froids"), et au cours des dernières décennies, l'ILL a développé une gamme complète d'instruments à neutrons froids (voir encadré pour plus de détails).

« Grâce à la modernisation constante de nos instruments, nous obtenons des performances sans cesse améliorées. – typiquement un facteur dix d'amélioration chaque décennie – cela a permis à la technique DQEN de passer de son domaine d'application premier - la dynamique de l'hydrogène et des protons, très forts diffuseurs de neutrons - à des éléments beaucoup plus faibles en diffusion », explique Mark Johnson, l'un des auteurs de la publication.

Une caractéristique clé des études récentes en DQEN est l'utilisation systématique de la simulation informatique de la dynamique moléculaire, qui fournit des modèles dynamiques cohérents avec les données expérimentales. Dans le cas des conducteurs d'ions oxyde, des simulations spécifiques ont été utilisées pour rendre compte précisément des fluctuations de liaison qui doivent se produire lorsque les ions migrent à travers les structures cristallines d'oxydes métalliques. « Un ancien directeur scientifique de l'ILL a forgé l'expression "plus que de simples neutrons" pour souligner à quel point l'infrastructure et les services de support sont nécessaires pour produire des résultats scientifiques de pointe », se souvient Mark Johnson.

Les perspectives pour les travaux futurs sont très encourageantes, avec des investissements dans l'instrumentation des installations du monde entier, comme le programme Endurance à l'ILL, et de nouvelles sources, telles que l'European Spallation Source (ESS). L'amélioration des performances permettra d'étudier des échantillons plus petits plus tôt après leur découverte et facilitera les séries de mesures à haut débit pour le criblage de nouveaux matériaux.


Référence: Bettina Schwaighofer, Miguel A. Gonzalez, Mark R. Johnson, John S. O. Evans, Ivana Radosavljević Evans. 'Ionic Mobility in Energy Materials: Through the Lens of Quasielastic Neutron Scattering', Chemistry of Materials, Vol. 37, Issue 10 (2025).

pubs.acs.org/doi/full/10.1021/acs.chemmater.5c00238

Contacts ILL: Mark Jonhson, Bettina Schwaighofer, Miguel A. Gonzalez

Le groupe Computing for Science à l'ILL

Le groupe "Computing for Science" (CS) de l'ILL, via son initiative "Computation Lab (C-lab)", offre un support complet pour un large éventail de méthodes de simulation. Celles-ci couvrent une grande partie des systèmes et matériaux étudiés avec les neutrons à l'ILL. Ce support inclut l'expertise en simulation, un cluster de calcul, des logiciels de simulation et, surtout, des logiciels permettant de dériver des "données expérimentales" simulées à partir des simulations, et ainsi de les comparer directement avec les données expérimentales réelles. Le groupe CS/C-lab organise également des sessions de formation et des workshops. Pour plus d'informations, contactez :  rebolini@remove-this.ill.fr