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Produits biopharmaceutiques à base de protéines : comprendre les processus pour aller plus loin dans les applications

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Une étude publiée récemment utilise la diffusion neutronique et la diffusion rayons X pour approfondir notre compréhension des processus de stabilisation des protéines par lyophilisation qui sont largement utilisés dans les applications biopharmaceutiques. Les résultats obtenus pour une protéine pertinente pour les applications pharmaceutiques contrastent fortement avec ceux obtenus précédemment pour le lysozyme, largement utilisé comme protéine modèle. Cela souligne l'importance du choix de la protéine dans de telles études.

Vue d'ensemble

Les protéines thérapeutiques ont révolutionné le traitement de nombreuses maladies : les troubles immunitaires, certains cancers et infections. Ces protéines sont souvent instables en solution et la lyophilisation est couramment utilisée pour prolonger leurs durées de vie. Pendant la lyophilisation, un protecteur est utilisé pour éviter une instabilité pouvant entraîner une agrégation des protéines, souvent associée à une perte d'efficacité. Comprendre les mécanismes impliqués lors de ce processus est essentiel pour le développement de biopharmaceutiques à base de protéines lyophilisées stables. Pour cela, la diffusion neutronique et la diffusion des rayons X  peuvent être d'excellents outils, permettant aux chercheurs de voir la structure interne des matériaux et d'obtenir des informations essentielles sur les interactions protéine-protéine.

Dans une nouvelle étude utilisant la diffusion neutronique et la diffusion des rayons X sur l'albumine sérique bovine (BSA), une protéine pertinente pour les applications pharmaceutiques, les chercheurs ont observé pour la première fois deux populations de molécules de protéines. Ces populations se caractérisent par deux distances intermoléculaires distinctes. Cette observation, publiée récemment dans la revue scientifique Soft Matter, contraste avec les résultats obtenus précédemment pour le lysozyme. Le lysozyme est une enzyme présente chez de nombreuses espèces animales et souvent utilisée dans ce type d'études. Ces résultats soulignent l'importance du choix de la protéine modèle : l'utilisation du lysozyme comme modèle pour étudier la stabilité des protéines pharmaceutiques plus volumineuses  ne semble pas être le choix idéal.

Selon Viviana Cristiglio, chercheuse à l'ILL et première auteure de l'étude, "l'utilisation de techniques de diffusion aux petits angles est précieuse dans ce domaine, car elle fournit des informations détaillées essentielles pour faire progresser les méthodes de stabilisation des protéines. Cette recherche jette les bases du développement de protéines thérapeutiques à usage pharmaceutique plus stables et plus efficaces"

Regardons de plus près

Mais que savons-nous du processus de stabilisation et que cherchent à découvrir les scientifiques ? Nous savons que pour que la stabilisation soit efficace, la protéine et le protecteur doivent être présents dans une phase vitreuse unique (un état de la matière qui combine la rigidité des cristaux avec la structure moléculaire aléatoire des liquides), avec des liaisons formées entre la protéine et les molécules de sucre. Cependant, ce n'est pas tout. Plusieurs mécanismes supplémentaires ont été suggérés et pourraient en réalité fonctionner simultanément. L'un d'eux est l'hypothèse de la « dilution », selon laquelle les molécules protectrices pourraient servir de barrière physique pour réduire les contacts protéine-protéine qui peuvent conduire à l'instabilité et à l'agrégation.

En utilisant des techniques de diffusion des neutrons aux petits angles et de diffusion des rayons X (SANS et SAXS), les scientifiques peuvent mesurer les distances typiques entre les protéines dans l'échantillon. Des études précédentes ont permis de détecter un pic d'interaction protéique avec un espacement plus important (correspondant à des distances protéine-protéine plus longues) dans les formulations à plus forte teneur en sucre, ce qui soutient l'hypothèse de la « dilution ». Jusqu'à présent, le lysozyme a été largement utilisé comme protéine modèle dans de telles études. Cependant, on craint que le comportement du lysozyme pendant la congélation (lors de la lyophilisation) ne soit pas nécessairement représentatif des molécules de protéines plus grosses couramment utilisées dans les produits biopharmaceutiques

Une première

Dans l'étude récemment publiée, des échantillons lyophilisés d'albumine sérique bovine (BSA) ont été étudiés à l'aide de neutrons et de rayons X à Grenoble (France) : à l'Institut Laue-Langevin (ILL) sur l'instrument D16 (un diffractomètre à neutrons froids), et sur la ligne de lumière ID02 de l'installation européenne de rayonnement synchrotron (ESRF). L'étude a été menée dans le cadre d'une collaboration réunissant des experts de la société pharmaceutique AbbVie, de l'ILL et de l'ESRF.

En utilisant des techniques de diffusion des neutrons aux petits angles et de diffusion des rayons X (SANS et SAXS), les chercheurs ont observé pour la première fois deux pics d'interaction protéique dans les diagrammes SAXS et SANS. La présence de deux pics indique qu'il existe deux populations de molécules de protéines caractérisées par des distances intermoléculaires différentes. Cela contraste avec les résultats obtenus pour des échantillons de lysozyme lyophilisés, où un seul pic d'interaction protéique a été observé.

De plus, cette étude fournit des preuves expérimentales concrètes en faveur de l'hypothèse de la « dilution » comme mécanisme de stabilisation : dans les échantillons à plus forte teneur en sucre, les distances protéine-protéine étaient plus grandes pour les deux populations, tandis que la fraction de la population de protéines avec une distance protéine-protéine plus courte était plus faible. Ces deux facteurs favoriseraient une meilleure stabilité (une meilleure protection contre l'agrégation) dans les mélanges riches en sucre.

Et ensuite ?

En tenant compte du fait qu'un seul pic d'interaction protéique est observé avant la lyophilisation, et en prenant en compte le comportement différent du lysozyme et de la BSA dans les solutions congelées (observé par diffraction des rayons X à haute résolution), les chercheurs ont formulé une nouvelle hypothèse qui explique leurs observations et a des implications sur la stabilité des produits lyophilisés (voir la figure ci-dessous). Ces résultats ne sont donc certainement pas la fin de l'histoire. Les prochaines étapes consisteront à tester cette hypothèse, à étudier les résultats SANS et SAXS en détail, et à explorer le potentiel de ces techniques.

Les prochaines études  se concentreront sur les protéines actuellement utilisées dans les applications pharmaceutiques. Cela permettra d'améliorer à la fois la compréhension et l'application des processus de stabilisation, ce qui profitera directement au développement de protéines thérapeutiques concrètes.

« La collaboration avec des experts pharmaceutiques tels qu'AbbVie est cruciale », déclare Viviana Cristiglio, ajoutant : « leur expertise peut orienter la science fondamentale qui sous-tend notre recherche vers des applications concrètes, garantissant ainsi que nos découvertes aient un impact tangible sur le développement de produits biopharmaceutiques efficaces ».

Représentation schématique de l'hypothèse selon laquelle les deux populations de molécules de protéines se forment pendant l'étape de congélation du processus de lyophilisation. Une fraction des molécules de BSA et la majorité des molécules de sucre sont expulsées des cristaux de glace en croissance (population d1), tandis que la deuxième population (d2) reste près de la surface de la glace. Ces molécules de la population d2 seront présentes à l'interface air/solide dans les matériaux lyophilisés.


Instrument ILL:D16

Contact ILL :  Viviana Cristiglio

Publication: V. Cristiglio, S. Feng, M. Sztucki,  X. Yuan, E. Shalaev, Two populations of protein molecules detected by small-angle neutron and X-ray scattering (SANS and SAXS) in lyophilized protein:lyoprotector (disaccharide) systems, Soft Matter 20 (2024) 19. http://dx.doi.org/10.1039/D4SM00028E.