print

De nouvelles perspectives sur le transport des ions dans les électrolytes solides de prochaine génération

Les résultats d'une nouvelle étude montrent comment les scientifiques des matériaux pourraient ajuster avec précision les propriétés de transport ionique afin de répondre à des besoins technologiques spécifiques en matière de catalyse et de dispositifs énergétiques à l'état solide.

Les matériaux à anions mixtes sont des composés chimiques qui contiennent des ions positifs (cations) et plus d'un type d'ion négatif (anions) au sein d'une seule structure cristalline. Cela offre une plus grande capacité d'ajustement (tunability) de leurs propriétés physiques et chimiques que les composés conventionnels à anion unique. La classe de tels composés la plus largement étudiée est celle des oxyhydrures, contenant à la fois des ions oxyde (O²⁻) et des ions hydrure (H-). Ce mélange d'anions modifie la force des liaisons, améliore la réactivité chimique et permet une diffusion plus rapide des anions. Ces propriétés uniques rendent les oxyhydrures prometteurs pour diverses applications dans le domaine du stockage et de la conversion d'énergie.

Dans certains oxyhydrures, les électrons et les ions hydrure sont mobiles, ce qui les rend intéressants pour les utiliser comme catalyseurs dans diverses réactions chimiques. En particulier, l'oxyhydrure de titanate de baryum (BaTiO3-2xHxx, où □ représente des lacunes d'oxygène) a suscité l'attention pour son activité catalytique remarquable dans la synthèse de l'ammoniac [1,2].

Les ions hydrure se déplacent en sautant dans les lacunes d'oxygène voisines, c'est-à-dire les ions oxyde manquants dans la structure cristalline. Cependant, les détails mécanistiques de ces sauts et la réponse du sous-réseau électronique sont restés flous [2]. Une étude récemment publiée montre que la facilité avec laquelle un ion hydrure peut sauter dépend de manière critique de ce qui arrive aux électrons associés à ces lacunes [1].

À l'aide de calculs basés sur la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT), des chercheurs de l'ILL et de l'Université de Technologie de Chalmers (Suède) ont modélisé la façon dont les ions hydrure diffusent dans différentes conditions. En comparant plusieurs scénarios allant des électrons fortement localisés à des électrons entièrement délocalisés, ils ont quantifié la façon dont  la localisation des électrons affecte la barrière d'énergie qu'un ion hydrure doit surmonter pour se déplacer d'un site à un autre.

Lorsque les électrons du matériau sont entièrement délocalisés, ce qui correspond à un comportement du matériau semblable à celui d'un métal, les ions hydrure se déplacent facilement, avec une faible barrière de diffusion de seulement 0,29 eV. En revanche, lorsque les électrons se localisent au niveau d'une lacune, ce qui correspond à une conductivité électronique de type semi-conducteur, la barrière monte à 0,83 eV, ralentissant considérablement le mouvement des ions hydrure. Les états électroniques intermédiaires produisent des barrières modérées d'environ 0.4–0.6 eV.

Ces découvertes établissent un lien quantitatif entre la structure électronique et le transport ionique dans les conducteurs mixtes hydrure-électronique. Elles montrent que le mouvement des ions hydrure n'est pas uniquement une question de réarrangement atomique, mais qu'il est également contrôlé par les électrons. Les électrons localisés forment une barrière répulsive pour les ions hydrure et les ralentissent. Cela signifie qu'une conduction rapide des ions hydrure nécessite des électrons délocalisés et très mobiles pour laisser passer les ions hydrure.

L'étude compare ensuite la barrière d'énergie calculée avec des données de diffusion quasi-élastique de neutrons pour BaTiO3-x-yHxy [2]. Ces données ont été partiellement collectées à l'ILL, sur les instruments de spectroscopie neutronique IN16B et IN5. Les spectromètres à neutrons peuvent mesurer la dynamique au niveau atomique à l'intérieur des matériaux et sonder des observables qui peuvent être directement comparées aux calculs théoriques.

Les données expérimentales montrent une étroite concordance avec la valeur de 0,29eV prédite par l'étude pour les électrons entièrement délocalisés. Cela suggère qu'une conductivité électronique de type métallique se produit dans le matériau, ce qui est cohérent avec les observations expérimentales précédentes.

De manière plus significative, ces résultats fournissent des principes de conception pour adapter la conductivité des ions hydrure dans les oxyhydrures. En modifiant le degré de localisation des électrons, par exemple, par l'ajustement de la bande interdite via la substitution de cations, les scientifiques des matériaux pourraient régler avec précision les propriétés de transport ionique afin de répondre à des besoins technologiques spécifiques. Un tel contrôle pourrait améliorer non seulement les oxyhydrures comme BaTiO3-2xHxxmais aussi les composés apparentés présentant un intérêt pour la catalyse et les dispositifs énergétiques à l'état solide.


[1] Fine, L., Karlsson, M., Panas, I. and Koza, M.M., "Unraveling the Electronic Control of Hydride Diffusivity in Oxyhydrides from Model Studies on BaTiO3-xHy." Materials Advances (2025).
DOI : https://doi.org/10.1039/D5MA00521C

[2] Lavén, R., Fine, L., Naumovska, E., Guo, H., Häussermann, U., Jaworski, A., Matsuura, M., Koza, M.M. and Karlsson, M., "Mechanism of Hydride-Ion Diffusion in the Oxyhydride of Barium Titanate." The Journal of Physical Chemistry C (2025).

Contact ILL : Michael Marek Koza