print

L'analyse de la poussière cosmique : un pas en avant vers des dispositifs quantiques et magnoniques

  • Dans le monde entier, les chercheurs recherchent des moyens pour transférer les informations via les ondes magnétiques, plutôt que via les électrons
  • Les chercheurs ont maintenant découvert un mouvement d'onde circulaire dans les skyrmions, ce qui nous rapproche de ces nouvelles technologies
  • Le MnSi, provenant à l'origine de la poussière cosmique a fait l'objet d'une étude en tant que modèle le plus proche de la configuration magnétique spéciale que l'on trouve dans les skyrmions. 

Grenoble, 4 mars 2022 – Une nouvelle recherche publiée dans la revue Science nous rapproche des dispositifs magnoniques et de l'informatique quantique. L'analyse neutronique a révélé le comportement des ondes magnétiques dans une catégorie de matériaux permettant aux chercheurs d'imaginer un avenir où les courants électroniques ne feront plus chauffer nos appareils.  

Les excitations magnétiques peuvent se comporter en tant que « magnons », c’est-à-dire d’une manière similaire aux particules et très proche des électrons. Les magnons proviennent des ondes de spin dans certains matériaux, se propageant en rayonnement à partir d'une perturbation, sans transfert de matière réelle – comme une vague de foule dans un stade de football. Ils peuvent transporter des informations, à l'instar des courants électriques, mais avec une énergie plus faible.

De nos jours les dispositifs électroniques gaspillent des quantités impressionnantes d'énergie. Ils chauffent lorsque les électrons qui transportent les informations rencontrent une résistance lorsqu'ils circulent dans les fils. Les exploitants de grands centres de données comme ceux des grandes entreprises technologiques dépensent des milliards d'euros par an pour leurs systèmes de refroidissement des ordinateurs – jusqu'à 40 % de leur demande énergétique. Les scientifiques, partout dans le monde, essaient de comprendre la manière dont le comportement des ondes de spin magnétiques pourrait ouvrir la voie à un avenir alternatif pour le transfert des données.

Pour exploiter pleinement ce potentiel, les chercheurs ont besoin de contrôler les propriétés et le comportement des ondes, par exemple leur longueur d'onde ou leur direction. De nouvelles recherches passionnantes ont prouvé que dans une configuration magnétique spécifique connue sous le nom de skyrmions, non seulement les ondes ont un comportement similaire à celui des électrons, mais elles imitent étroitement le mouvement des électrons en réponse à un champ magnétique. Il est donc possible de prédire leur mouvement avec plus de précision et de l’exploiter pour des technologies de l'avenir, comme par exemple le stockage de nouvelles informations et l'informatique quantique.

Pour mettre en évidence ce nouveau mouvement circulaire d'onde de spin autour des skyrmions, qui représente un changement radical pour notre compréhension des magnons, les chercheurs ont utilisé les faisceaux de neutrons les plus puissants au monde pour leurs expériences. Le neutron est une particule fondamentale disposant de son propre moment magnétique, et la diffusion de neutrons est la seule technique capable de réagir aux champs magnétiques – comme une aiguille de boussole détectant le pôle Nord.

Dans les matériaux ferromagnétiques traditionnels, les moments sont tous orientés dans la même direction, de sorte que les ondes magnétiques se propagent généralement en ligne droite. Toutefois, dans une catégorie de matériaux relativement nouvelle, la configuration magnétique est entièrement différente et elle présente un immense potentiel. Le siliciure de manganèse (MnSi) est l'un de ces matériaux où les moments magnétiques forment une configuration serrée en forme de tourbillon, désignée skyrmion, qui s'étend le long de tubes, comme dans une boîte de spaghettis qui n'ont pas encore été cuits. Le MnSi qui a été découvert dans la poussière cosmique provenant d'une comète est le modèle archétypal pour l'étude des skyrmions. Dans ces recherches, le mouvement des ondes de spin autour des « tubes » magnétiques a été observé et la similarité avec les électrons a été établie en termes de leur manière de se déplacer en mouvement circulaire perpendiculaire au skyrmion.

À gauche : Dans un skyrmion magnétique, les spins s'alignent de manière semblable à celle d'un tourbillon autour d'un champ externe. Le champ est appliqué ici le long de la direction k. Crédits : T. Weber
À droite : Le rapport de dispersion est composé de couches distinctes espacées étroitement en énergie, à savoir les niveaux Landau. La forme des couches dépend de la direction de transfert de momentum qui peut se trouver dans le plan du skyrmion (h) ou le long de l'axe du skyrmion (k). Crédits : Y. Le Goc, T. Bruyere et T. Weber | Création avec
Voreen

 

Les chercheurs ont fait un pas de plus vers le potentiel révolutionnaire des magnons. Les dispositifs ou technologies qui exploitent ces phénomènes sont toujours fort éloignés dans l'avenir, avec des limitations toujours en vigueur, par exemple les températures extrêmement basses requises pour afficher le comportement décrit. Toutefois, suite à l'influence croissante des dispositifs électroniques et des demandes de stockage des données sur la planète, des solutions de contrôle et de mise en œuvre de la physique quantique continuent à être importantes pour notre avenir.

Selon Tobias Weber, physicien à l'Institut Laue-Langevin et auteur principal de l'article : « L'application de ces découvertes fondamentales en matière de technologies futures pose des défis considérables, mais nos observations de la dynamique des skyrmions ont une forte influence dans le domaine . L'instrument ThALES à l'ILL est le seul outil qui nous a permis d'effectuer cette découverte, car il s'agit du spectromètre le plus intense de ce type au monde. La polarisation des neutrons transforme également notre capacité à observer les magnons par rapport à toute autre technique, ce qui permet de voir précisément les résultats qui proviennent de la contribution magnétique. »

« Les étapes suivantes de ce périple accompagneront les matériaux mystérieux qui posent des défis et dans lesquels nous observons la structure des skyrmions. L'étude du comportement magnétique dans le MnSi et dans ses homologues nécessite des températures extrêmement basses (-243,15 °C), de sorte que nous sommes encore loin de pouvoir appliquer ces conclusions aux technologies à température ambiante ».

Ces recherches sont le fruit d'une collaboration internationale entre l'Institut Laue-Langevin en France, la source de spallation suisse SINQ de l'Institut Paul Scherrer, la source de muons et de neutrons ISIS du Royaume-Uni, le Laboratoire National de Los Alamos aux États-Unis, l'Institut de Technologie de Karlsruhe et la source des neutrons de recherche de Heim Maier-Leibnitz (FRM II) de l'Université Technique de Munich (TUM).


Re.: “Topological magnon band structure of emergent Landau levels in a skyrmion lattice", by Tobias Weber et al. ,Science (2022).
The article can be accessed at https://doi.org/10.1126/science.abe4441

Instrument ILL : ThALES, Three Axis instrument for Low Energy Spectrometry

Contacts: Tobias Weber, Paul Steffens, Martin Böhm