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Un radionucléide plus performant pour le traitement du cancer

Les isotopes radioactifs sont un excellent moyen de traitement pour les cancers qui se sont métastasés. En partenariat avec d'autres institutions, l'ILL travaille sur la fabrication et les essais cliniques du terbium-161, un nouveau radio-isotope à utilisation clinique  promettant de tuer plus efficacement les cellules cancéreuses que d’autres radio-isotopes analogues actuellement en utilisation clinique.

Les isotopes qui émettent un rayonnement de courte portée sous forme d'électrons ou de particules alpha sont un outil thérapeutique idéal. En effet, ces isotopes déposent leur énergie dans des cellules cancéreuses ciblées, brisant leur ADN et tuant ainsi ces cellules. Actuellement, un émetteur bêta, le lutétium-177, est utilisé avec succès pour traiter différents cancers.  
L’un des avantages des radio-isotopes est qu’ils peuvent atteindre des cancers qui se sont métastasés à travers le corps. Pour trouver les cellules cancéreuses, l'isotope doit tout d’abord être couplé à une molécule biologique « vectrice » qui se lie de façon préférentielle aux récepteurs présents à la surface de celles-ci.
 
La théragnostique – une nouvelle approche

Aujourd'hui, l'utilisation d'un ou plusieurs isotopes d'un même élément, dont les rayonnements permettent de combiner les fonctions diagnostiques et thérapeutiques – la théragnostique – afin de mener un traitement plus personnalisé et efficace suscite de plus en plus d’intérêt. Les quatre « sœurs » terbium (terbium -149, -152, -155 et -161) figurent parmi les séries d'isotopes prometteuses. Le terbium-161 présente un intérêt particulier. En effet, il émet à la fois des électrons de basse énergie adaptés à la radiothérapie et des rayons gamma adaptés à l'imagerie. Les propriétés chimiques du terbium-161 s’apparentent à celles du lutétium-177. Cependant, le terbium-161 pourrait être plus performant, puisqu'il émet environ deux fois plus d'électrons de courte portée utilisables à des fins thérapeutiques.

Cela fait plus d’une décennie que nous étudions l'application clinique potentielle des quatre isotopes du terbium. Cependant, comme pour tout nouveau produit médical, le cheminement scientifique jusqu’au stade de l'application clinique, amorcé avec les études précliniques sur cellules tumorales et passant par les investigations sur petits animaux, est long et laborieux. Parmi les conditions prérequises, l'isotope doit être d’une grande pureté et sa fabrication avoir une reproductibilité élevée. Notre équipe a démontré que ces exigences étaient satisfaites par le terbium-161. Ce radio-isotope est fabriqué en irradiant une cible de gadolinium-160 avec des neutrons pour produire du gadolinium-161 (capture d’un neutron). Ensuite, le gadolinium-161 se désintègre en terbium-161 (transformation du neutron en proton et émission d’un électron sous forme de rayonnement bêta). Ce processus a été réalisé avec le réacteur de l'ILL et a été reproduit dans d'autres réacteurs de recherche. L'isotope du terbium doit ensuite être chimiquement séparé du gadolinium. Cette séparation a été réalisée avec un procédé mis au point à l’Institut Paul Scherrer (PSI) à Villigen, en Suisse et garantissant une grande pureté . 

Les éléments du Tableau périodique sont définis par le nombre de protons dans leurs noyaux. Chaque élément existe sous plusieurs formes appelées isotopes, chaque isotope ayant un nombre différent de neutrons. Certains isotopes sont instables, et émettent des rayonnements sous forme de particules subatomiques – noyaux d'hélium (rayonnement alpha), électrons et positrons (rayonnement bêta) – ainsi que des rayons gamma (rayonnement électromagnétique à haute énergie).

Beaucoup de ces radio-isotopes ont des applications importantes, notamment dans le milieu hospitalier, pour le diagnostic et le traitement de différents cancers. Après son injection, un isotope émettant des rayons gamma permet - grâce à l’utilisation d’une gamma-caméra - d’obtenir une image des tissus sélectionnés.

Ce travail a ouvert la voie à la première utilisation du terbium-161 chez l'être humain. Le DOTATOC, un peptide dont on sait qu’il cible les tumeurs neuroendocrines, a été couplé au terbium-161 afin de créer un agent radiopharmaceutique dont la distribution dans l'organisme a pu être suivi en fonction du temps (voir les images ci-dessus).  Ce peptide nous a permis de recueillir les données nécessaires au calcul de la bonne dose de l'agent radiopharmaceutique. Ces données ont confirmé la distribution tissulaire anticipée et ont démontré que l’agent radiopharmaceutique a été bien toléré sans effets indésirables. 


Nous essayons maintenant d’étendre cette thérapie utilisant le terbium à d autres types de tumeurs, et de comparer son efficacité à celle de la thérapie utilisant le lutétium-177.  Pour cela, nous avons utilisé une molécule vectrice différente, la molécule PSMA-617, qui cible les cellules cancéreuses de la prostate.  Les données recueillies ont démontré que le terbium-161 était nettement plus performant que le lutétium-177, aussi bien dans les cultures cellulaires que dans le corps des souris.

Afin de déterminer où précisément dans une cellule cancéreuse le rayonnement d’électrons est le plus efficace, les isotopes du terbium et du lutétium ont été couplés à trois peptides différents ciblant les cellules tumorales neuroendocrines.  La molécule vectrice DOTATOC s'accumule principalement dans le cytoplasme, la molécule vectrice DOTATOC-NLS dans le noyau de la cellule et la molécule vectrice DOTA-LM3 dans la membrane cellulaire.  Pour chacun de ces trois couplages, le terbium-161 est plus performant que le lutétium-177.  C’est la molécule vectrice DOTA-LM3 qui détruit les cellules tumorales avec le plus bas niveau de radioactivité possible. 
Nous allons maintenant recueillir des données semblables pour d'autres types de cellules tumorales et molécules vectrices.  Un essai clinique portant sur le terbium-161-DOTA-LM3 commencera cette année.  L'ILL et le PSI auront un rôle clé à jouer dans l'approvisionnement du terbium-161 pour la poursuite des recherches précliniques et cliniques.
 

J. Nucl. Med.,(2021); doi: 10.2967/jnumed.120.258376.

Eur. J. Nucl. Med. Mol. Imaging, (2021); doi: 10.1007/s00259-021-05564-0.

References:

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[2] N. Gracheva et al., EJNMMI Radiopharm. Chem., 2019, 4, 12.
[3] R. P. Baum et al., J.  Nucl. Med., 2021, 61, 1391.
[4] C. Müller et al., Eur. J. Nucl. Med. Mol. Imaging, 2019, 46, 1919
[5] F. Borgna et al. Eur. J. Nucl. Med. Mol. Imaging. 2021, 49, 1113. 
[6] J. P. Pouget et al. Radiat. Res., 2008, 170, 192.

ILL Instrument: the V4 high flux position for neutron irradiation.

Contact: Cristina Müller (Paul Scherrer Institute)
ILL contact:  Ulli Köster