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Les secrets d’un béton plus durable

Après l'eau, le béton est l’une des substances les plus utilisées au monde. Il constitue les fondations de structures majeures partout dans le monde et depuis des siècles (les premières traces de l’utilisation de liant hydraulique remontent à l’empire romain). Mais aujourd’hui, certaines des plus anciennes infrastructures constituées de béton se rapprochent de la fin attendue de leur durée de vie. 

Il est extrêmement important de comprendre et prendre en compte le comportement à long terme du béton pour assurer la sécurité des ouvrages et permettre une maintenance optimisée (remplacement des éléments en béton lorsque c’est nécessaire, ni trop tôt, ni trop tard).  En effet, en plus du gaspillage  financier, le béton représente environ 8 à 10 % des émissions de CO2 dans le monde avec le chiffre assez  stupéfiant de 5,2 milliards de tonnes équivalent carbone par an provenant principalement du ciment. Une meilleure compréhension de l'échelle de temps pour utiliser le béton en toute sécurité aura un impact extrêmement important sur notre empreinte carbone globale.

Dans le but d'améliorer notre compréhension du vieillissement du béton, une équipe de chercheurs de l'Institut Laue-Langevin (ILL) de Grenoble a décidé d'étudier l'effet de l'humidité interne sur la fissuration et la dégradation, en mesurant des comportements que la communauté scientifique n'avait pas encore explorés. L'étude a été menée en collaboration avec Holcim (anciennement LafargeHolcim), un des premiers producteurs de ciment au monde. .

La fissuration et le séchage peuvent constituer un cercle vicieux dans les matériaux à base de ciment. La chaleur, ainsi que les conditions d'humidité ambiante, peuvent contribuer au séchage d'un matériau et donc contribuer à sa dégradation. Dans le béton armé (renforcé par des barres d'acier), de petits interstices ou de petites fissures qui se forment peuvent même commencer à exposer le métal à des agents agressifs, entraînant de la corrosion (rouille), ce qui peut à long terme compromettre la sécurité de la structure. 

Notre utilisation des matériaux cimentaires augmente au fur et à mesure de la croissance des villes, et les conditions d’usage, par exemple les inondations ou les sécheresses fréquentes suite au changement climatique, continueront à contribuer à cette dégradation. 

NeXT-Grenoble(Tomographie par neutrons et rayons X à Grenoble) est une collaboration révolutionnaire entre l'ILL et l'Université Grenoble Alpes pour le développement de méthodes à la pointe du progrès pour l'étude des matériaux. NeXT a été utilisé dans cette recherche pour fournir une carte 3D de la structure interne d'un échantillon de pâte de ciment. Le ciment a été chauffé pour assurer le séchage et une imagerie par rayons X et par neutrons a été réalisée simultanément à différentes échéances temporelles. Cela a permis aux chercheurs de capturer le réseau de fissures  la circulation de l'eau au sein du matériau.

 

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Avancement du front de séchage dans le béton chauffé à des conditions similaires à celles du feu. En haut à droite : comparaison de différents mélanges de béton (lignes bleues) indiquant des comportements extrêmement différents malgré des profils de température identiques (lignes rouges). En bas à droite : imagerie neutronique permettant même de capturer l'accumulation d'humidité dans les régions froides en amont du front de séchage, censée être la source de fissuration par éclatement du béton à haute température. 

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Exemple de complémentarité élevée des informations sur la tomographie par rayons X et par neutrons disponibles à NeXT : les rayons X (à droite) donnent un aperçu de l'évolution de la microstructure (ouverture des fissures) dans le béton chauffé et les neutrons révèlent leur interaction avec la migration/séchage de l'humidité. 

      

Les neutrons sont sensibles à l'hydrogène, composant principal des molécules d'eau, ce qui veut dire que les chercheurs ont pu capturer une image 3D précise de l'eau au fur et à mesure qu'elle circule dans l'échantillon. Les images ont été alignées de manière extrêmement précise pour s’assurer que les « cartes » des neutrons et des rayons X correspondent. 

L'étude a indiqué que dès qu'une fissure se forme, le séchage s'accélère à proximité de la fracture. Cela entraîne des changements de saturation des pores de la pâte de ciment, ainsi qu'un retrait, ce qui peut contribuer au vieillissement et à une dégradation prématurée. C'est la première fois que la communauté scientifique a mesuré cet effet sur le béton. 

D'autres expériences confirmeront si ce rapport est définitivement causal, mais il constitue une phase importante pour percer les mystères du vieillissement des structures en béton permettant une meilleure utilisation de celui-ci à l’avenir.  Des démarches similaires peuvent être appliquées pour étudier le recyclage potentiel de ce matériau (en tant que nouveau granulat), afin d'améliorer la durabilité de son cycle de vie. 

Vu l'ampleur de l'utilisation du béton sur la planète, identifier chaque moyen même minime d'optimisation de ce matériau aura des répercussions massives sur la sécurité et la durabilité des bâtiments -  et aura le potentiel de sauver des vies partout dans le monde. 

NeXT-Grenoble  a été utilisé pour mener ces expériences.

Ref.: Simultaneous x-ray and neutron 4D tomographic study of drying-driven hydro-mechanical behavior of cement-based materials at moderate temperatures (2021)
10.1016/j.cemconres.2021.106503