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Une nouvelle approche qui empêche les épaves de tomber en poussière une fois sorties de l'eau

Les neutrons aident des chercheurs dans la découverte d’une nouvelle approche qui empêche les épaves de tomber en poussière une fois à l’air.

• Les objets archéologiques submergés en bois se dégradent inévitablement lorsqu’ils sont sortis de l’eau
• Des traitements à base de nanoparticules se sont avérés pertinents pour empêcher des milliers d'années d'histoire de disparaitre
• Cette nouvelle approche ouvre la voie à une meilleure préservation des navires qui nous viennent du passé

Des chercheurs de l'Institut Laue-Langevin (ILL) en collaboration avec une équipe de l'Université de L'Aquila (Italie), ont mis la main sur une nouvelle manière de protéger les objets en bois, comme les épaves, qui sont restées des centaines d'années sous l’eau, mais qui deviennent vulnérables et se décomposent une fois sur la terre ferme. La découverte permettra de préserver des objets en bois gorgés d’eau provenant d’épaves englouties d’une grande valeur historique  ; ces  fragments extrêmement rares de notre passé pourront ainsi être conservés en vue d’ études archéologiques et anthropologiques.

Pour préserver les trésors marins en bois, il est essentiel d’interrompre le processus de dégradation dès le début des fouilles. Cependant, aucune solution adaptée n’a encore été élaborée pour permettre la désacidification du bois ancien à grande échelle. L'une des épaves les plus célèbres du monde, le navire Vasa vieux de 400 ans à Stockholm, a ainsi été partiellement rongé par l'acide sulfurique au début des années 2000. Exposé à l'oxygène et à l'humidité de l'air, le bois peut subir une acidification qui s’y propage au risque de faire s’effondrer toute la structure.

Une étude récemment publiée dans Nanomaterials met en avant une nouvelle approche pour lutter à grande échelle contre ce fléau de l'acidification des bois submergés, qui peut apparaître une fois l’objet retiré de l'eau. S'il est courant d'immerger les objets en bois dans une solution de polyéthylène glycol (PEG) dans le but de remplacer l'eau dans la structure et ainsi éviter des fissures au moment du séchage du bois, ce traitement n'est pas adapté contre l'acidification ; et des produits chimiques corrosifs peuvent apparaitre sur le bois des années après le traitement.

La nouvelle solution préventive et curative proposée ici utilise des nanoparticules en suspension aqueuse qui pénètrent dans les pores du bois et génèrent un tampon qui empêche la formation d'acides. Les chercheurs en France - en collaboration avec le groupe Italien qui a mis au point la technique de production à grande échelle de ces nanoparticules - ont utilisé la diffusion neutronique et la diffraction des rayons X pour étudier l'efficacité du traitement. Leur travail a porté sur des échantillons provenant d’une barge gallo-romaine âgée de 2000 ans du musée Lugdunum (Lyon, France) et prêtée par le laboratoire ARC-Nucléart (Grenoble, France), en se focalisant sur l’étude de la stabilité et de la sécurité des nanoparticules dans l'eau.

La recherche sur le patrimoine culturel s’intéresse depuis des années aux produits à base de nanoparticules, mais les solutions actuelles sont très coûteuses et potentiellement dangereuses pour les humains et l'environnement. De nombreuses approches utilisent en effet de l'alcool comme solvant. Ce produit chimique très volatil et inflammable, lorsqu’il est utilisé à grande échelle (par exemple pour les épaves qui nécessitent des piscines de 12 x 6 m pour les immerger), pose un risque énorme sans parler de son coût important. La nouvelle solution, proposée par des chercheurs de l'Université de L'Aquila dirigée par le professeur G. Taglieri, permet de produire en grande quantité des nanoparticules et de les utiliser directement dans l'eau - un solvant peu coûteux, accessible et sûr. Cette solution prometteuse, durable, adaptable, écologique et peu coûteuse, a le potentiel de transformer les méthodes traditionnelles de conservation.

L’Institut Laue-Langevin (ILL), le centre mondial phare en matière de science neutronique, a utilisé une technique appelée diffusion des neutrons à petits angles (SANS) pour examiner et comparer la suspension de nanoparticules d’hydroxyde de calcium et de magnésium dans l’eau. Cela a permis de confirmer que les particules sont libres de se déplacer dans le bois et de désacidifier efficacement. Plusieurs techniques, dont la microscopie à force atomique (utilisant la plateforme PSCM), la microscopie électronique et la diffraction à rayons X, ont ensuite été utilisées pour étudier la structure des nanoparticules et les signes de dégradation dans les échantillons de bois en fonction des traitements préventifs et curatifs.

Les neutrons sont un outil important dans les études du patrimoine culturel. Ils ne sont pas destructifs et peuvent pénétrer profondément dans les matériaux solides ou, singulièrement, liquides pour révéler ce qui se passe au niveau atomique ou moléculaire. Ils peuvent ainsi dévoiler comment le métal d’épées anciennes a été travaillé, ou encore améliorer les processus de restauration utilisés sur des œuvres d'art qui ont plusieurs centaines d’années.

Le nouveau traitement possède  à la fois une action curative et une action préventive contre l'acidification observée dans les objets en bois provenant des épaves. Il peut ainsi aider à maintenir la structure et l'apparence initiales des reliques. Cette recherche ouvre la porte à une préservation sûre et durable des vestiges du passé tels que les navires et les ponts submergés. Elle permettra aux générations futures de connaître et d'apprécier les oeuvres des sociétés anciennes.

Pour Claudia Mondelli, scientifique du Consiglio Nazionale delle Ricerche à l'ILL: « Les résultats qui naissent de l’association des technologies neutronique et aux rayons X confirment le potentiel enthousiasmant de l’utilisation de nanotechnologies dans les sciences de la conservation. Ces techniques de pointe sont d’une aide inestimable dans nos recherches sur la façon d’atténuer et de prévenir les dommages causés aux objets anciens. Mieux conserver ces objets nous permettra d'en tirer des informations sur les sociétés passées - comment elles vivaient, travaillaient et construisaient lorsque l'objet était utilisé - tout en les préservant pour les générations à venir. »

Gilles Chaumat, coordinateur des programmes de recherche à l'ARC-Nucleart, a déclaré : « Trouver des traitements abordables, durables et efficaces est un défi de taille dans la conservation des objets en bois, un domaine dont nous sommes spécialistes. Les techniques analytiques évoluées, non destructives, utilisées dans cette étude nous aident à mieux comprendre ce qui peut être utilisé en toute sécurité sur ces précieux objets anciens et nous permettent de protéger davantage, par notre travail, des pans entiers de l'histoire humaine. »

Sustainable Nanotechnologies for Curative and Preventive Wood Deacidification Treatments: An Eco-Friendly and Innovative Approach, G. Taglieri, V. Daniele, L. Macera, R Schweins, S. Zorzi, M. Capron, G. Chaumat, C. Mondelli [doi:10.3390/nano10091744]


Notes aux rédacteurs :
Les données provenant de la diffusion des neutrons à petits angles, utilisées dans cette étude ont été recueillies à l'aide de l'instrument de diffusion D11 de l'ILL.

Re.: Sustainable Nanotechnologies for Curative and Preventive Wood Deacidification Treatments: An Eco-Friendly and Innovative Approach, G. Taglieri, V. Daniele, L. Macera, R Schweins, S. Zorzi, M. Capron, G. Chaumat, C. Mondelli [doi:10.3390/nano10091744]

Contact: Dr Claudia Mondelli