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La diffraction neutronique : un puissant outil de développement de polymères durables

Les polymères - des macromolécules composées de sous-unités récurrentes ou monomères - sont omniprésents dans notre environnement. On peut les classer entre polymères naturels (tels que les protéines, l’ADN, l’amidon et la cellulose) et polymères synthétiques, utilisés aujourd’hui pour la fabrication de matériaux incontournables à usage généralisé (tels que les plastiques, les caoutchoucs, le béton, le verre et le papier). Les polymères synthétiques sont souvent considérés comme une des plus importantes inventions de l’époque moderne.

Malgré la grande diversité de polymères, la production de polymères synthétiques est dominée par les plastiques, secteur responsable de la production d’environ 400 millions de tonnes de déchets plastiques par an, dont moins de 10% est aujourd’hui recyclé. Par conséquent, la mise au point de plastiques durables et économiquement concurrentiels, ayant des propriétés équivalentes aux propriétés des polymères traditionnels issus du pétrole, est un domaine de recherche d’importance sociétale et environnementale capitale. 
L’intérêt de la diffraction neutronique pour la recherche dans ce domaine a récemment été mise en lumière par des expériences menées à l’Institut Laue Langevin (ILL) sur des polymères synthétisés à l’université de Bath.

Le polylactide (PLA, polylactic acid) est le polymère biosourcé le plus fabriqué aujourd’hui et l’un des premiers plastiques durables en mesure de concurrencer les polymères traditionnels. Fabriqué à partir de matières premières renouvelables, sa production génère trois fois moins de CO2 que celle des polymères traditionnels, il est à la fois recyclable et compostable en fin de cycle de vie, et sa biodégradation ne prend quelques mois, tandis que celle des plastiques issus d’énergies fossiles exige des centaines voire des milliers d’années.

Le PLA est utilisé dans la fabrication d’emballages, de bouteilles, et pour des applications biomédicales. Pourtant, la quantité de PLA produite (environ 200 000 tonnes par an) est négligeable comparée aux millions de tonnes de plastique issus de la pétrochimie. « L’usage de polymères biosourcés et biodégradables n’est pas encore très répandu, car la versatilité de leurs propriétés (déterminant ce que peut faire un polymère et les secteurs dans lesquels il est utilisable) ne concurrence pas encore celle des polymères traditionnels issus du pétrole », explique Philip Yang, doctorant à l’Institute for Sustainability de l’université de Bath. 

Grâce aux avancées récentes dans la synthèse des polymères, il est maintenant possible de produire en quantité importante des polymères cycliques purs, à la structure bien définie. La topologie cyclique – où une structure circulaire aux bouts-de-chaine reliés remplace la chaine d’unités monomériques linéaire habituelle – crée un éventail de propriétés physiques et chimiques singulières : viscosités inférieures, températures de transition vitreuse supérieures, stabilité thermique supérieure et vitesse de cristallisation supérieure à celle des polymères linéaires traditionnels. La forme cyclique du PLA suscite donc un grand intérêt, car elle pourrait améliorer cet éventail de propriétés et ainsi augmenter la versatilité du PLA.

Afin de mieux comprendre et mener leur développement, il faut maintenant des études détaillées des polymères cycliques. « La synergie entre la grande sensibilité des neutrons à l’hydrogène et la puissance de la méthode de contraste par deutération sélective fait des neutrons une sonde particulièrement utile pour l’étude des polymères à base d’hydrogène, pouvant fournir des informations précises et uniques, » explique Olga Matsarskaia, scientifique et co-responsable de l’instrument D11 de l’ILL, instrument de diffusion de neutrons aux petits angles (small-angle neutron scattering - SANS).

Des échantillons de poly(lactide) linéaire et de poly(rac-lactide) cyclique ont été synthétisés à l’université de Bath puis transférés à l’ILL pour des expériences de diffusion de neutrons aux petits angles avec l’instrument D11. « Le flux neutronique particulièrement élevé de l’ILL assure un excellent rapport signal/bruit,même pour les systèmes à faible pouvoir de diffraction, ainsi que des temps de comptage plus brefs par échantillon, » explique Matsarskaia. « Cette haute performance permet de mener de multiples expériences pendant le temps de faisceaualloué, et de réaliser des études avec le niveau de précision nécessaire à une compréhension fine du système. » Dans cette expérience, des intensités diffractées ont été récoltées pour une grande diversité d’échantillons, en faisant varier un assortiment de paramètres : les solvants (acétone-d6 et THF-d8), les températures (15 et 40°C), la masse moléculaire, les microstructures et la distance échantillon-détecteur afin de couvrir un éventail de q (vecteur de diffusion).

Avec les données recueillies, réduites par Matsarskaia à l’ILL puis analysées à l’université de Bath, il a été possible de comparer les deux typologies d’échantillons de PLA (linéaire et cyclique) à travers un éventail de variables. Les résultats ont aussi été comparés avec les résultats d’une investigation de diffraction de neutrons aux petits angles précédente sur des échantillons linéaires et cycliques de polystyrène. « Le polystyrène est sans doute le polymère cyclique le plus documenté. Cependant, puisque le polystyrène est un polymère issu du pétrole, sa structure chimique est très différente du PLA biosourcé, » explique Yang. Les observations, publiées dans Macromolecules en 2022, reproduisent les tendances établies précédemment, mais avec des variations nettement plus grandes entre les topologies linéaires et cycliques que celles jusque-là documentées. « Dans notre étude, nous avons observé des différences beaucoup plus significatives entre les formes linéaires et cycliques du PLA que celles documentées par les auteurs de l’étude précédente sur le polystyrène. Par conséquent, nos résultats montrent que les polymères cycliques ne se comportent pas tous comme des polymères linéaires, » explique Yang.

Les résultats mettent en lumière l’intérêt de la diffraction neutronique en tant qu’outil d’identification et caractérisation de la topologie cyclique et de comparaison des polymères linéaires et cycliques. D’autres expériences de diffraction neutronique, utilisant la technique de diffusion neutronique quasielastique (quasielastic neutron scattering - QENS) sont prévues à l’ISIS Neutron and Muon Source (au Royaume Uni) afin de comparer PLA linéaire et cyclique en forme brute (non dilué dans du solvant). L’information fournie par ces études de diffraction neutronique affinera la compréhension des polymères cycliques, nécessaire pour mener à bien le développement et l’avancée de la commercialisation des polymères durables.


Référence:  Macromolecules 2022, 55, 24, 11051–11058, December 13, 2022. https://doi.org/10.1021/acs.macromol.2c02020

Instrument ILL : D11

Contact: Olga Matsarskaia, ILL