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Les neutrons révèlent la diffusion d’hydrogène atomique par « effet tunnel » sur le graphène

Le graphène est connu pour être le matériau le plus fin au monde en raison de sa structure 2D, où chaque feuille a l’épaisseur d’un atome de carbone, ce qui permet à chaque atome d’initier une réaction chimique des deux côtés. Les flocons de graphène peuvent présenter une très grande proportion d’atomes en bords de domaine, présentant tous une réactivité chimique particulière. En outre, les vides créés par les atomes manquants à la surface des graphènes sont des défauts de surface chimiquement actifs. Ces défauts structurels et ces bords jouent un rôle essentiel dans les caractéristiques chimiques et physiques du carbone, car ils modifient la réactivité chimique du matériau. En fait, les réactions chimiques se sont avérées à de nombreuses reprises favorisées en ces points (1).

Les nuages moléculaires interstellaires sont composés essentiellement d’hydrogène sous forme moléculaire (H2), mais contiennent également un faible pourcentage de particules de poussière, principalement sous forme de nanostructures de carbone hydrogénées, appelées hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Ces nuages sont souvent appelés « pépinières d’étoiles », car leur faible température et leur forte densité permettent à la gravité de condenser la matière localement, de manière à initier la fusion de l’hydrogène, réaction nucléaire au cœur de chaque étoile. Les matériaux à base de graphène, préparés à partir de l’exfoliation de l’oxyde de graphite, sont utilisés comme modèles de la poussière de carbone interstellaire, car ils contiennent une quantité relativement importante de défauts atomiques, en leurs bords ou à leur surface. On pense que ces défauts permettent la réaction chimique de type Eley-Rideal, qui recombine deux atomes H en une molécule H2.

L’observation des nuages interstellaires dans les régions inhospitalières de l’espace, y compris à proximité directe des étoiles géantes, pose la question de l’origine de la stabilité de l’hydrogène sous forme moléculaire (H2). Cette question est légitime car les nuages sont constamment dégradés par d’intenses rayonnements, qui fissurent les molécules d’hydrogène pour les transformer en atomes. Les astrochimistes suggèrent que le mécanisme chimique responsable de la recombinaison du H atomique en H2 moléculaire est catalysé par des flocons de carbone dans les nuages interstellaires. Leur théorie est mise en cause par le fait qu’un scénario chimique de surface très efficace est indispensable pour expliquer l’équilibre observé entre la dissociation et la recombinaison. Ils ont ainsi dû introduire des sites très réactifs dans leurs modèles afin que la capture d’un H atomique proche survienne à coup sûr. Ces sites, sous forme de défauts atomiques à la surface ou en bord des flocons de carbone, doivent être tels que la liaison C-H constituée permette à l’atome H d’être libéré aisément pour se recombiner avec un autre atome H qui passe dans son voisinage.

Une collaboration entre l’Institut Laue-Langevin (ILL), en France, l’Université de Parme, en Italie, et la Source de Neutrons et de Muons ISIS, au Royaume-Uni, a permis de combiner des simulations dynamiques moléculaires à partir de la spectroscopie neutronique et de la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT), afin de caractériser l’environnement local et les vibrations des atomes d’hydrogène liés chimiquement à la surface de flocons de graphène contenant une proportion importante de défauts. Des analyses supplémentaires ont été réalisées en utilisant la spectroscopie des muons (muSR) et la résonance magnétique nucléaire (RMN). Etant donné que la disponibilité des échantillons est très faible, ces techniques très spécifiques étaient indispensables pour étudier les échantillons ; la spectroscopie des neutrons est très sensible à l’hydrogène et a permis de recueillir des données précises à de faibles concentrations.

Pour la toute première fois, cette étude a montré « l’effet tunnel » dans ces systèmes, permettant aux atomes H liés aux atomes C d’explorer des distances relativement longues à des températures aussi faibles que celles des nuages interstitiels. Le processus implique le « saut quantique » de l’hydrogène d’un atome de carbone à un autre dans son voisinage direct, à travers des barrières de potentiel qui ne pourraient pas être franchies classiquement étant donné la chaleur insuffisante dans l’environnement du nuage interstellaire. Ce déplacement est favorisé par les fluctuations de la structure du graphène, qui apportent l’énergie nécessaire à l’atome H pour explorer des régions instables. Ce processus peut catalyser la recombinaison en permettant la libération de l’atome H lié chimiquement. Par conséquent, on pense que l’effet tunnel facilite la réaction à l’origine de la formation du H2 moléculaire.

Stéphane Rols, scientifique à l’ILL et spécialiste des nanostructures de carbone, a déclaré : « La question de la manière dont se forme l’hydrogène moléculaire aux faibles températures des nuages interstellaires a toujours été un moteur dans la recherche astrochimique. Nous sommes fiers d’avoir combiné les compétences de la spectroscopie avec la sensibilité des neutrons pour identifier le phénomène fascinant de l’effet tunnel comme mécanisme possible à l’origine de la formation du H2 ; ces observations sont importantes pour faire avancer notre compréhension de l’univers. »

(1) Denis PA, Iribarne F. The Journal of Physical Chemistry 2013;117(37):19048-19055. DOI : 10.1021/jp4061945


Re.: Hydrogen motions in defective graphene: the role of surface defects, Cavallari et al., Phys. Chem. Chem. Phys., 2016, 18, 24820-24824. DOI: 10.1039/C6CP04727K

Contact:

Proof communication
Dr Stéphane Rols, ILL


Notes à l’attention des éditeurs :

Les données de diffusion inélastique des neutrons (DIN) de l’ILL ont été recueillies en utilisant l’appareil LAGRANGE (Large Area GRaphite Analyser for Genuine Excitations). Ce spectromètre à neutrons est utilisé pour étudier la dynamique des hautes énergies et les excitations moléculaires dans la matière condensée ; il s’agit en outre de l’appareil le plus performant pour les matériaux contenant de l’hydrogène. Parmi les autres applications, on retrouve l’analyse de la dynamique et de la liaison, de la structure des composés moléculaires complexes et du magnétisme. Pour des informations complémentaires, consultez le site www.ill.eu

Les données DIN de la Source de Neutrons et de Muons ISIS ont été recueillies à l’aide du spectromètre MAPS, qui est le premier spectromètre hacheur à avoir été conçu dans le seul but de mesurer les excitations dans les monocristaux. Une proportion significative de son temps de faisceau est utilisée pour mesurer les excitations dans des expériences d’excitation de monocristaux qui impliquent l’utilisation de neutrons thermiques. Pour des informations complémentaires, consultez le site www.isis.stfc.ac.uk

A propos de l’ILL : l’Institut Laue-Langevin (ILL) est un centre de recherche international situé à Grenoble, en France. Il est au premier rang mondial des sciences et technologies de la diffraction des neutrons depuis près de 40 ans, puisqu’il a commencé ses recherches en 1972. L’ILL exploite l’une des sources de neutrons les plus intenses au monde et fournit des faisceaux de neutrons à 40 appareils de haute performance qui sont constamment perfectionnés. Chaque année, 1 200 chercheurs de plus de 40 pays viennent à l’ILL pour mener des recherches en physique de la matière condensée, chimie (verte), biologie, physique nucléaire et science des matériaux. Le Royaume-Uni, aux côtés de la France et de l’Allemagne, est un associé et un bailleur de fonds majeur de l’ILL.