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Les neutrons au cœur de la recherche sur les antibiotiques : explorer les membranes cellulaires grâce aux faisceaux de neutrons

Les bactéries pourraient bientôt devenir la principale menace pandémique, surpassant les virus. Dans notre arsenal d'antibiotiques qui s'amenuise. La polymyxine B, antibiotique de dernier recours, cible la membrane externe bactérienne mais présente des effets secondaires. Une étude récemment publiée a rassemblé l'expertise de différentes installations de recherche neutronique pour examiner ce processus à l'échelle moléculaire en utilisant la diffusion neutronique sur des modèles de membranes bactériennes. Ce travail a également été mis en avant en tant qu'image de couverture du numéro de la revue.

Les bactéries se divisent en deux grandes catégories : les bactéries à Gram positif et celles à  Gram négatif. Une distinction majeure réside dans la présence d'une membrane externe imperméable supplémentaire chez les bactéries à Gram négatif. Cette barrière biologique unique les protège des antibiotiques, faisant des bactéries à Gram négatives une préoccupation particulière. La membrane externe diffère des membranes cellulaires typiques, constituées de doubles couches de molécules lipidiques (bicouches phospholipidiques) : elle est composée de phospholipides sur sa couche interne et de grandes molécules appelées lipopolysaccharides (LPS) sur sa surface externe. Les molécules de LPS forment une barrière imperméable à de nombreux antibiotiques. La polymyxine B peut franchir la membrane externe en déstabilisant les interactions entre les LPS, entraînant des dommages irréparables et la mort cellulaire. Mais comment cela fonctionne-t-il ?

Les membranes cellulaires ont une épaisseur d'environ cinq nanomètres, ce qui rend leur étude détaillée à l'échelle atomique extrêmement difficile. La réflectométrie neutronique offre une solution pour mesurer la structure de ces couches ultra-minces. La mécanique quantique nous enseigne que les neutrons se comportent à la fois comme des particules et  des ondes. Ils sont ainsi capables de créer des figures d'interférence lors de leur réflexion sur des films minces. "C'est un effet similaire aux couleurs observées dans les bulles de savon, mais à l'échelle du nanomètre", explique Nicoló Paracini, premier auteur de la publication et ancien doctorant à ISIS et responsable d'instrument à l'ILL. "Les neutrons dits "froids", avec des longueurs d'onde comparables aux rayons X (dans la gamme des angströms), ils sont parfaitement adaptés à l'étude des membranes biologiques. Les neutrons froids ne transportent que quelques meV d'énergie cinétique, contrairement aux rayons X qui en transportent plusieurs keV, ce qui évite d'endommager la membrane pendant la mesure.

Les résultats ont révélé que la polymyxine B endommage les membranes bactériennes uniquement à 37°C, sans effet à température ambiante (20°C). Cela démontre comment la transition de phase des molécules de LPS induite par la température - de l'état gel à l'état fluide - permet la pénétration de l'antibiotique. Une étude détaillée a permis aux chercheurs de cartographier précisément la distribution de l'antibiotique à travers la membrane, révélant son accumulation dans la région hydrophobe des LPS. "Cette recherche démontre la puissance de la réflectométrie neutronique pour fournir des informations détaillées sur les interactions biomoléculaires, en l'occurrence en résolvant précisément comment cet important antibiotique de dernier recours interagit avec les membranes des pathogènes au niveau moléculaire", explique Luke Clifton, scientifique à ISIS.

« Seule la réflectométrie neutronique peut fournir ce type d'informations sur la structure de couches aussi fines », souligne Nicoló Paracini. Ce travail a rassemblé l'expertise de différentes installations de recherche sur les neutrons et faisait partie du projet de thèse de doctorat de Paracini. Les expériences ont été menées à ISIS (Royaume-Uni) et les données ont été analysées à l'ILL, à l'aide de logiciels développés à ANSTO, la source de neutrons australienne. Depuis la fin de son doctorat, Paracini travaille au sein du groupe de réflectométrie à l'ILL et a récemment rejoint la Source européenne de spallation (ESS). « Les installations qui travaillent sur une aussi large gamme de sciences comme ISIS, l'ILL et bientôt l'ESS, s'appuient sur de nombreuses personnes talentueuses d'horizons très divers. J'ai eu la chance de travailler dans ces trois installations et cela a été une expérience véritablement enrichissante. »

Alors que la lutte contre la résistance aux antibiotiques se poursuit, la compréhension des mécanismes physiques de l'action antimicrobienne nous aide à développer des stratégies plus efficaces contre la résistance bactérienne. Cette connaissance s'avère cruciale pour préserver les antibiotiques dont nous disposons encore et en développer de nouveaux.


L'article complet est disponible ici  DOI: 10.1021/acsomega.4c07648

Ce travail a également été mis en avant en tant qu'image de couverture du numéro de la revue.