Jusqu'à ce que les membranes nous séparent : les neutrons révèlent le mécanisme moléculaire derrière l'extraction durable du lithium
Des chercheurs ont conçu de nouvelles membranes pour extraire les précieux ions lithium des solutions de saumure et ont utilisé les neutrons pour obtenir une compréhension plus approfondie de leur mécanisme.
Des téléphones portables aux batteries de voitures, la technologie mondiale repose fortement sur les batteries lithium-ion (Li+). Le lithium, un métal alcalin, doit être extrait de l'environnement. Afin de minimiser les effets néfastes de ce processus, une option durable d'extraction du Li+ est basée sur un mécanisme connu sous le nom d'électrodialyse sélective à partir de saumures de lacs salés. En bref, l'électrodialyse transporte les ions Li+ vers une membrane sélective aux ions sous l'effet d'un champ électrique.
Une partie cruciale de l'extraction du Li+ est sa séparation de son ion monovalent (portant une charge positive) des autres ions portant 2 charges positives ou plus (appelés ions divalents ou polyvalents). Ce processus nécessite une membrane hautement sélective. Un matériau particulièrement adapté à cet usage est celui des polymères à microporosité intrinsèque (PIM en abrégé). Les PIM sont connus pour se prêter facilement à la fabrication de membranes sélectives aux ions.
"Notre hypothèse était que les PIM constitueraient une excellente base pour la fabrication de membranes capables de séparer les ions monovalents des ions divalents", explique Dingchang Yang, doctorant à l'Imperial College London et premier auteur d'une étude interdisciplinaire élucidant le transport ionique à travers de nouvelles membranes PIM.
Pour mettre leur idée en pratique, l'équipe de recherche a développé des membranes PIM constituées de chaînes polymères rigides et contournées contenant des groupes chimiques hydrophiles ("qui aiment l'eau"). L'avantage de ces groupes est double : non seulement ils entraînent des interactions ion-pore essentielles à la régulation du transport ionique, mais ils renforcent également la rigidité des réseaux par des réseaux de liaisons hydrogène intra- et interchaînes. Ceci donne naissance à de minuscules canaux ioniques subnanométriques qui assurent une diffusion confinée des ions à travers la membrane. Des structures connues sous le nom de portes de pores dynamiques restreignent la diffusion de l'eau et des ions entre les canaux, le degré de restriction dépendant du type de polymère utilisé. La diffusion à travers les canaux eux-mêmes, en revanche, se produit assez rapidement.
Lors de l'analyse de la diffusion de différents ions à travers la membrane, l'équipe a constaté que les ions Mg2+, comparativement plus gros, diffusaient beaucoup plus lentement que les ions Li+, monovalents et plus petits. Outre l'encombrement stérique au sein des petits canaux, la grande couche d'hydratation des ions Mg2+ a également entravé leur diffusion. En effet, le mouvement des molécules d'eau est un paramètre important déterminant la diffusion des ions à travers les membranes poreuses et a été étudié par spectroscopie neutronique inélastique sur l'instrument WASP de l'ILL.
"Nous avons observé une diminution remarquable de la diffusion de l'eau par rapport à l'eau massive en fonction de la taille des pores", explique Peter Fouquet, membre de l'équipe WASP à l'ILL. Fabrizia Foglia de l'University College London ajoute : "grâce à la spectroscopie neutronique, nous avons pu étudier en détail les mouvements moléculaires, fournissant – en parallèle avec la RMN et les simulations informatiques – une excellente compréhension qui est essentielle pour optimiser davantage les membranes sélectives aux ions." Les données neutroniques concordaient très bien avec les résultats obtenus par des méthodes complémentaires telles que la RMN et les simulations informatiques.
Les chercheurs ont testé les nouvelles membranes en utilisant une saumure de lac salé simulée contenant un mélange de différents ions. La sélectivité ionique résultante était excellente, indiquant que les interactions entre les ions et les groupes fonctionnels hydrophiles introduits par l'équipe conduisent à une extraction efficace du lithium. En effet, les performances des membranes PIM ont permis de produire du carbonate de lithium de qualité utilsé dans les batterie.
"Nous sommes ravis d'avoir l'opportunité de collaborer avec des experts de l'ILL pour réaliser une étude approfondie du mécanisme de transport membranaire, ce qui nous aide à mieux comprendre les relations structure-propriété et à concevoir de nouvelles membranes", déclare Qilei Song de l'Imperial College London, le chercheur principal de l'étude.
Cette étude multiméthode est donc un excellent exemple illustrant comment les neutrons peuvent contribuer à la conception des technologies durables de demain. Cette équipe issue d'une collaboration internationale, comprenant des chercheurs du Royaume-Uni, de France et de Chine, continuera à utiliser la spectroscopie neutronique pour étudier de nouvelles membranes pour de nombreuses applications durables sur le plan environnemental.
Référence:
Yang, D., Yang, Y., Wong, T. et al. Solution-processable polymer membranes with hydrophilic subnanometre pores for sustainable lithium extraction. Nat Water3, 319–333 (2025).
DOI: 10.1038/s44221-025-00398-8
Instrument ILL: WASP
Contact ILL: Peter Fouquet