La découverte de la pénicilline en 1928 a représenté une étape majeure dans la lutte contre les infections bactériennes. Au cours des dernières années, cependant, la sur-utilisation des antibiotiques a conduit à l'émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques. Un cas typique est le Staphylococcus aureus (staphylocoque doré) résistant à la méthicilline (SARM), qui est désormais responsable d'environ 150 000 infections par an uniquement en Europe.
À la lumière de cette situation critique, de nouveaux agents antibactériens sont très recherchés. Les acides gras à longue chaîne (AGLC en abrégé) se sont avérés être l'une des options viables. Les acides gras sont un constituant important de nombreux systèmes biologiques, y compris des cellules qui composent le corps humain. Les mécanismes antibactériens des AGLC sont multiples : ils peuvent inhiber la synthèse des protéines bactériennes, interférer avec leur réplication de l'ADN et perturber les membranes protectrices.
Afin de déployer leur pleine activité bactéricide, les molécules d'acides gras à longue chaîne (AGLC) doivent être solubilisées. Ceci représente un obstacle majeur dans le développement de bactéricides à base de AGLC: la solubilité des AGLC diminue avec l'augmentation de la longueur de chaîne et est encore limitée par la température et la concentration. En dessous d'une certaine température (appelée température de Krafft), les LCFA cristallisent ; au-dessus d'une concentration critique, ils s'associent en structures globulaires connues sous le nom de micelles. Ces deux processus réduisent la quantité de molécules actives disponibles pour attaquer les bactéries. L'équilibre entre ces paramètres pour améliorer les performances antibactériennes des AGLC est donc une tâche essentielle et délicate.
S'il était établi que certaines petites molécules puissent jouer un rôle important dans la solubilisation des AGLC, le potentiel d'une importante sous-classe de ces molécules (les contre-ions organiques) demeurait, jusqu'à une période récente, inexploré. Une équipe de chercheurs français s'est lancée dans ce défi. En ajoutant une telle molécule (appelée choline, qui est un nutriment essentiel pour l'homme) aux solutions de AGLC, ils ont réussi à diminuer les températures de Krafft de tous les AGLC étudiés. Ainsi, ils ont réussi à dissoudre des AGLC qui cristallisaient auparavant en solution. Il est important de noter que ces complexes AGLC-choline sont en réalité des savons à base de plantes et représentent donc des bactéricides hautement durables et écologiques.
Cette synthèse réussie a permis de tester de manière quantitative les propriétés antibactériennes de ces AGLC. "En utilisant un ensemble interdisciplinaire de méthodes et de techniques, nous avons pu optimiser et caractériser l'activité antibactérienne des AGLC contre les germes résistants aux antibiotiques ", explique Anne-Laure Fameau, chercheuse principale de l'étude, ajoutant : "Les résultats que nous avons obtenus sont encourageants et inspirent de nouvelles recherches sur les antibiotiques à base d'acides gras."
Pour atteindre cet objectif, les chercheurs ont défini et déterminé la "concentration de départ à tuer "(SKC) de différents AGLC, c'est-à-dire la concentration d'acide gras à laquelle les populations de bactéries sont significativement réduites..Plus la SKC d'une solution d'AGLC est faible, plus elle est efficace pour éliminer les bactéries. Dans l'ensemble, les acides gras plus longs étaient moins efficaces (c'est-à-dire que leurs SKC étaient plus élevés) car ils sont moins solubles (s'assemblant plus rapidement en micelles) et une quantité moindre de molécules actives reste disponible en solution. Fait intéressant, l'équipe a constaté que les acides gras les plus longs (18 atomes de carbone) étaient plus rapides pour éliminer les bactéries que les plus courts (12 atomes de carbone).
La structure des solutions de AGLC-choline a été étudiée à l'échelle moléculaire en effectuant des expériences de diffusion des neutrons aux petits angles (SANS) sur D22 à l'ILL. "Le SANS permet de sonder des structures à l'échelle nanométrique à micrométrique et est donc un outil optimal pour les molécules étudiées ici ", souligne Sylvain Prévost, chercheur à l'ILL et responsable de l'instrument. L'instrument D22 de l'ILL est très bien adapté à de telles expériences en raison de son flux élevé, qui permet un criblage systématique d'un grand nombre de conditions et de paramètres d'échantillons, et permet ainsi des expériences très efficaces en termes de temps.
Les données SANS ont révélé des signatures claires de micelles elliptiques pour tous les complexes AGLC-choline. Une analyse détaillée a montré une augmentation de la distance micelle-micelle et une augmentation de l'agrégation micellaire avec une augmentation de la longueur des acides gras, ainsi qu'un changement de forme micellaire. Ces informations détaillées sur la structure et le comportement des AGLC en solution sont précieuses pour l'interprétation des résultats des recherches en cours et futures sur leurs propriétés antibactériennes.
Pour vérifier la spécificité de l'activité antibactérienne montrée par les complexes AGLC-choline, les chercheurs les ont également testés contre E. coli, un pathogène courant. "Nos données ont montré que les complexes AGLC-choline que nous avons testés étaient sélectivement efficaces contre le S. aureus résistant à la méthicilline, mais pas contre E. coli, ce qui souligne leur force particulière dans la lutte contre les nouvelles bactéries résistantes aux antibiotiques ", déclarent Elena Arellano et Tomasz Swebocki, les premiers auteurs de l'étude.
Traduction d'un texte en anglais rédigé par Olga Matsarskaia
instrument ILL: D22
Contact à l'ILL : Sylvain Prevost
Reference: Helena Arellano, Tomasz Swebocki, Clémence Le Coeur, Sylvain Prevost, Marwan Abdallah, Veronique Nardello-Rataj, Anne-Laure Fameau, Influence of critical micelle concentration of choline-based long chain fatty acid soaps on their antibacterial activity against Methicillin resistant Staphylococcus aureus, Journal of Colloid and Interface Science, 677A, 2025. https://doi.org/10.1016/j.jcis.2024.07.218