Le ciment est le matériau le plus largement utilisé dans le monde. Lorsqu'il est mélangé à du sable, du gravier et de l'eau, il produit du béton. Malgré plusieurs siècles d'utilisation intensive et une demande mondiale toujours croissante, de nombreuses questions fondamentales sur sa structure restent sans réponse. Un exemple important est l'organisation et la dynamique de l'eau dans les matériaux à base de ciment, qui restent encore un sujet de débat, malgré leur influence majeure sur des propriétés telles que la durabilité et leur pertinence pour d'autres applications du ciment (par exemple, l'élimination des polluants) ou dans le développement de ciments à faible teneur en CO2.
Le processus par lequel l'eau se combine avec les particules de ciment (appelé hydratation du ciment) est effectivement complexe. Il implique plusieurs réactions chimiques et physiques et est influencé par de multiples facteurs tels que la température et le rapport eau-ciment. Au fur et à mesure que les réactions d'hydratation avancent, leurs produits se lient progressivement entre eux pour former une masse solide.
Au cours du processus, différents "hydrates" (les produits de l'hydratation) se forment. L'hydrate de silicate de calcium (généralement désigné par C-S-H) est la phase liante la plus importante - le ciment colle qui maintient le tout ensemble. D'autre part, l'eau reste dans le produit final, soit en tant que partie intégrante des différents composants, soit piégée dans la structure poreuse du béton. Les propriétés de cette "eau adsorbée" peuvent être très différentes de celles de l'eau telle que nous la connaissons.
Dans une étude publiée dans le Journal Cement and Concrete Research, une équipe de recherche internationale a étudié la dynamique de l'eau dans les liants hydratés en utilisant des techniques de diffusion des neutrons à l'Institut Laue-Langevin (Grenoble, France) et à la source de neutrons ISIS (Oxford, Angleterre).
"Les neutrons sont idéaux pour étudier la dynamique de l'eau en raison de leur forte interaction avec l'hydrogène. Ils nous permettent d'étudier un large éventail de types de mouvements de l'eau dans les liants hydratés qui ne peuvent pas être mesurés en utilisant d'autres techniques", explique la première auteure de l'article, Zhanar Zhakiyeva, qui a récemment terminé son doctorat à l'ILL, Université Grenoble Alpes (UGA)*. " Nous avons ainsi pu sonder les vibrations des molécules d'eau présentes dans les différents nanoporos C-S-H ".
Les spectres de diffusion des neutrons mesurés à l'aide de l'instrument IN1-Lagrange à l'ILL fournissent des informations sur les vibrations intramoléculaires des molécules d'eau et la force du réseau de liaisons hydrogène qu'elles forment, qui varie de manière significative entre l'eau confinée et l' "eau en vrac" (eau telle qu'elle est dans un verre d'eau - bulk water). "Cette information peut être obtenue parce que la spectroscopie neutronique permet de mesurer tous les modes de vibration", ajoute Mónica Jiménez-Ruiz, scientifique de l'ILL responsable du spectromètre IN1-Lagrange.
L'équipe a interprété ses données expérimentales à la lumière de spectres calculés à partir de leurs modèles de simulation par ordinateur. " Les simulations de dynamique moléculaire nous permettent d'interpréter les données en identifiant les différents " empreintes digitales " spectrales des molécules d'eau confinées dans les pores, et en comprenant comment ces molécules se déplacent différemment en fonction de leur environnement : leur distance à la surface du ciment, dans des conditions sèches ou humides ", explique Stéphane Rols, scientifique de l'ILL.
Cette étude a déterminé pour la première fois la plage d'humidité à laquelle de l'eau en vrac ou de l'eau glacée est présente dans les échantillons hydratés.
" Dans l'ensemble, nos résultats expérimentaux et de simulation indiquent que différents types d'eau sont présents dans les fines couches d'eau interfaciale, avec des mouvements qui sont distincts de ceux de l'eau dite en vrac ", explique Zhanar. " En particulier, la présence d'ions calcium à la surface tend à maintenir l'eau sous la forme de couches de surface hautement structurées, similaires à une structure de type glace. "
* Le travail de thèse de Zhakiyeva a été soutenu par l'ILL, ISTerre (CNRS/IRD/UGA/Univ. Savoie Mont BlancNRS, Univ. Gustave Eiffel) et le Bureau de Recherches Géologiques et Minières,
Instrument ILL: IN1/Lagrange
Contact ILL : Mónica Jiménez-Ruiz
Reference: Zhanar Zhakiyeva, Valérie Magnin, Agnieszka Poulain, Sylvain Campillo, María P. Asta, Rogier Besselink, Stéphane Gaboreau, Francis Claret, Sylvain Grangeon, Svemir Rudic, Stéphane Rols, Mónica Jiménez-Ruiz, Ian C. Bourg, Alexander E.S. Van Driessche, Gabriel J. Cuello, Alejandro Fernández-Martínez, Water dynamics in calcium silicate hydrates probed by inelastic neutron scattering and molecular dynamics simulations, Cement and Concrete Research, 184, 2024, 107616, https://doi.org/10.1016/j.cemconres.2024.107616