Alternatives végétales à la viande : le défi de l'imitation parfaite
La production de viande a un impact environnemental important et est inévitablement liée à des questions éthiques et de bien-être animal. Une consommation excessive de viande peut également augmenter le risque de plusieurs maladies chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires et le cancer colorectal. Pour de nombreuses raisons, de plus en plus de personnes se tournent vers des régimes végétariens ou flexitariens, ce qui rend les substituts de viande une option de plus en plus courante.
Aujourd'hui, les alternatives végétales à la viande représentent une part importante du marché mondial des substituts de viande. Cependant, malgré les efforts considérables déployés pour améliorer l'imitation de la viande animale, reproduire fidèlement l'expérience sensorielle de la viande animale reste un défi complexe pour l'industrie agroalimentaire. Ce défi englobe l'apparence, le goût, l'arôme et la texture.
Les produits qui ressemblent le plus à la viande animale se caractérisent par des structures fibreuses similaires à celles de la viande. Ces structures sont généralement obtenues par un processus appelé cuisson par extrusion à haute teneur en humidité : des poudres de protéines végétales et de l'eau (éventuellement mélangées à d'autres ingrédients) sont introduites séparément dans un baril d'extrudeuse, où elles sont mélangées à des températures comprises entre 130 et 170 °C. Le mélange est ensuite acheminé vers une zone de refroidissement où il se solidifie. Au cours de la solidification, une structure fibreuse unique se forme, ce qui confère au produit final son aspect et sa texture proche de la viande.
Bien que ces structures fibreuses aient été bien étudiées aux échelles millimétrique et micrométrique, elles l'ont rarement été à l'échelle nanométrique. Plus important encore, les mécanismes de formation et de maintien de la structure des fibres n'ont pas encore été clairement identifiés et font l'objet de discussions et de recherches en cours. En effet, les méthodes d'extraction d'échantillons ne peuvent pas fournir de telles informations : l'équipement a besoin de temps pour refroidir avant de pouvoir être ouvert, et pendant ce temps, la structure de l'échantillon peut changer. Le principal problème, cependant, est que l'ensemble du système est une sorte de "boîte noire", qui empêche l'utilisation de toute une série de techniques de détection en ligne, telles que la spectroscopie proche infrarouge (NIR), la spectroscopie Raman et la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN). Les neutrons et les rayons X font toutefois exception.
Relier les points entre eux
L'étude publiée récemment dans la revue scientifique Food Hydrocolloids s'inscrit dans le cadre du projet de doctorat de Tong Guan, réalisé au sein d'InnovaXN. Ce programme de formation doctorale financé par l'UE permet à 40 doctorants de s'attaquer à des sujets variés liés à des défis industriels, en exploitant les techniques de caractérisation avancées des grands instruments européens. Le projet de Tong est une collaboration entre l'ILL, l'ETH Zurich et le partenaire industriel Planted Foods AG (Suisse). Un autre partenaire industriel, Three-Tec GmbH, a participé à la conception du matériel technique nécessaire à l'étude.
Tong relie les points pour clarifier la situation, ou plutôt pour éclairer la boîte noire. Son projet réunit les bons partenaires, les installations et l'expertise nécessaires pour réaliser quelque chose d'inédit. Alors que des cellules transparentes aux neutrons ont déjà été conçues et utilisées pour étudier in situ l'évolution de la structure des protéines végétales, de telles études n'ont pas encore été réalisées à l'intérieur d'une extrudeuse ni à des températures similaires à celles de l'extrusion. La diffusion des neutrons aux petits angles (SANS), qui permet de sonder des structures à toutes les échelles, y compris la nano-échelle peu étudiée, est particulièrement utile pour ce projet. En effet, la technique SANS a déjà été appliquée avec succès à divers systèmes alimentaires (tels que les gels de protéines alimentaires et les systèmes protéine-sucre).
Diffusion neutronique : un changement radical
Pour cette étude, l'équipe de recherche a conçu et réalisé une expérience complexe de diffusion neutronique, qui lui a permis de suivre la texturation d'un analogue de viande végétale (à base de concentré de protéines de soja) in situ et en temps réel, à l'intérieur d'une extrudeuse spécialement conçue. Il est important de noter que l'expérience a été réalisée sans interférer avec le processus d'extrusion.
Une filière de refroidissement spécialement conçue et équipée de trois fenêtres transparentes aux neutrons a permis d'observer le processus de structuration à l'échelle nanométrique par diffusion neutronique aux petits angles (SANS) sur une échelle de longueur allant de 1,3 à 436 nm. Les mesures ont été effectuées sur l'instrument SANS-1 de l'Institut Paul Scherrer (PSI) à Villigen, en Suisse, et sur l'instrument D22 de l'ILL.
La diffusion des neutrons aux petits angles (SANS) explore la structure des substances à des échelles allant de 1 nanomètre à près de 1 micron. Lors d'une expérience SANS, un faisceau de neutrons est dirigé vers un échantillon. Les neutrons sont diffusés élastiquement par interaction nucléaire avec les noyaux de l'échantillon. La technique SANS mesure la déviation à de petits angles (de moins de un degré à plusieurs degrés) du faisceau de neutrons due aux structures de telles tailles dans l'échantillon. C'est souvent un moyen unique d'obtenir des informations structurelles directes sur les systèmes désordonnés à ces échelles de longueur. Le flux élevé de neutrons et la flexibilité de sa configuration font de D22 un instrument particulièrement adapté aux expériences en temps réel et aux échantillons faiblement diffusants.
Comme toujours, les résultats obtenus soulèvent de nouvelles questions et ouvrent des pistes de recherche spécifiques. Une prochaine étape importante consiste à étudier plus en avant le comportement viscoélastique des matières premières dans des conditions similaires à l'extrusion, car elles pourraient jouer un rôle important dans les trois mécanismes proposés. Une autre est sans aucun doute d'étudier la formation de nanoagrégats protéiques, car ils pourraient bien être l'élément central de la structuration. Sont-ils déjà présents dans les matières premières ou se développent-ils pendant le processus d'extrusion ? Ces connaissances pourraient permettre une ingénierie ciblée de la structure des aliments, ce qui permettrait de concevoir des machines sur mesure, spécifiquement adaptées à la production de structures similaires à la viande, et donc de transformer les processus et les perspectives dans l'industrie agroalimentaire.
Publication:
Tong Guan, Corina Sägesser, Roman Villiger, Lisa Zychowski, Joachim Kohlbrecher, Joseph Dumpler, Alexander Mathys, Patrick Rühs, Peter Fischer, Olga Matsarskaia,
In situ studies of plant-based meat analog texturization, Food Hydrocolloids, Volume 155, 2024, 110215, ISSN 0268-005X, doi.org/10.1016/j.foodhyd.2024.110215.
Superviseure ILL : Olga Matsarskaia
Superviseur universitaire: Peter Fischer (ETH Zurich)
Superviseurs industriels : Lisa Zychowski (Planted Foods AG) and Patrick Rühs (currently ETH Zurich)
Contact PSI: Joachim Kohlbrecher