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Des expériences menées sur des neutrons révèlent des protéines capables d’inhiber la formation de plaques amyloïdes

De nouvelles informations quant à la nature moléculaire de la maladie d’Alzheimer

La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative chronique qui provoque des troubles de la mémoire, des capacités de réflexion et d’autres facultés cognitives. La présence de plaques amyloïdes qui s’accumulent entre les cellules nerveuses du cerveau constitue l’un des signes distinctifs de la maladie.

Des chercheurs basés en Italie et en France ont mené des expériences utilisant des neutrons afin d’étudier l’effet toxique des espèces amyloïdes apparaissant lors de la formation des plaques amyloïdes.Ils ont constaté que ces espèces entraînaient une augmentation de la rigidité dans les systèmes membranaires modèles et que certaines protéines pouvaient inhiber à la fois le processus d’agrégation et ses effets sur la membrane. Leurs résultats ont fait l’objet d’une publication récente dans le Journal of Physical Chemistry.

Le projet s’appuie sur des travaux antérieurs réalisés par plusieurs groupes de recherche et combine l’expertise de biophysiciens de l’Institut de biophysique (IBF-CNR, Italie), de l’Université polytechnique des Marches (Ancône, Italie), de l’Université Grenoble Alpeset de l'ILL.

« À l’Institut IBF-CNR de Palerme, nous étudions l’agrégation des peptides β-amyloïdes d’un point de vue biophysique depuis deux décennies », explique Dr. Rita Carrotta, chercheuse à l’Institut IBF-CNR, en Italie et co-auteur de l’article. Les peptides β-amyloïdes sont des fragments de protéines produits naturellement par l’organisme. Dans le cerveau d’un patient atteint d’Alzheimer, des oligomères de β-amyloïdes et des fibres amyloïdes toxiques se forment pour diverses raisons et entravent le fonctionnement normal du cerveau. Ces composés s’accumulent, ce qui entraîne la formation de plaques insolubles.

Dans le cadre d’un projet financé par le ministère italien de l’Éducation, de l’Université et de la Recherche (programme « Future in Research », « Multidisciplinary Investigations for the development of Neuro-protective Drugs » [Investigations multidisciplinaires pour le développement de médicaments neuroprotecteurs]), coordonné par le Dr. Maria Grazia Ortore de l’Université polytechnique des Marches et le Dr. Silvia Vilasi de l’Institut IBF-CNR, les chercheurs italiens avaient identifié un groupe spécifique de protéines appelées chaperonines, et notamment la protéine de choc thermique HSP60, capables de perturber le processus d’agrégation des peptides amyloïdes.

Les chaperonines, comme leur nom l’indique, agissent en tant que chaperons moléculaires. Elles garantissent en effet le comportement normal des protéines et aident à leur repliement en bonne et due forme. HSP60, retrouvée dans l’organisme humain et impliquée dans plusieurs maladies, s’est avérée particulièrement efficace lorsqu’il était question d’empêcher l’agrégation des peptide Aß et la dégradation des membranes cellulaires.

« Nous voulions en apprendre davantage sur les effets inhibiteurs de HSP60 et nous avons donc mené des expériences avec des neutrons pour étudier de plus près ses interactions moléculaires », explique Dr. Rita Carrotta. Les chercheurs ont collaboré avec le Dr Marco Maccarini, chercheur à l’Université Grenoble Alpes ainsi que le Dr. Ralf Schweins et le Dr. Peter Falus, chercheurs à l’ILL, afin d’étudier les effets des peptides β-amyloïdes sur la membrane cellulaire par diffusion de neutrons aux petits angles et spectroscopie neutronique à écho de spin.

L’écho de spin est une mesure spectroscopique neutronique. Cette technique permet de comprendre les propriétés dynamiques des matériaux par l’intermédiaire de tirs de faisceaux de neutrons et l’analyse minutieuse de la vitesse des neutrons diffusés. Les observations sur la manière dont les atomes et les molécules vibrent, pivotent et se déplacent révèlent des informations qu’il est souvent impossible d’obtenir avec d’autres techniques. Ici, les chercheurs ont utilisé la spectroscopie neutronique à écho de spin pour mesurer la rigidité de la membrane au niveau moléculaire. « La spectroscopie neutronique à écho de spin est une technique de spectroscopie de très haute sensibilité », explique Dr. Peter Falus. « Elle nous permet de mesurer la rigidité de flexion de la membrane à l’échelle atomique. Cette mesure n’aurait pas pu être effectuée avec un autre appareil que le spectromètre IN15 à l’ILL. »

Les chercheurs ont élaboré des systèmes membranaires modèles en produisant des vésicules, de petits compartiments remplis de liquide et entourés d’une membrane, imitant les cellules humaines. Les membranes des vésicules contenaient des composants lipidiques utiles dans le cadre de l’interaction avec les peptides β-amyloïdes.

Ils ont ensuite ajouté des peptides β-amyloïdes et des espèces intermédiaires issues du processus d’agrégation de la β-amyloïde dans les vésicules. Ils ont constaté que ces espèces de peptides β-amyloïdes entraînaient une augmentation de la rigidité des membranes, ce qui indique qu’elles peuvent détériorer les cellules vivantes. Cependant, lorsque ces molécules étaient ajoutées en même temps que la chaperonine HSP60, les membranes conservaient leurs propriétés élastiques. La présence d’une quantité infime de chaperonine suffisait à prévenir l’altération de la membrane.

Ces résultats indiquent que la chaperonine HSP60 est capable d’interagir avec les peptides β-amyloïdes et les molécules amyloïdes intermédiaires et d’interférer avec le processus d’agrégation en empêchant ainsi la formation de plaques. En effet, les chaperonines assistent les cellules en capturant les espèces réactives avant qu’elles ne causent des dommages.

Le processus d’agrégation de la β-amyloïde est extrêmement complexe et des études supplémentaires sont nécessaires afin de déterminer les interactions moléculaires de façon précise. « La prochaine étape consiste à étudier plus en détail le mécanisme moléculaire par lequel HSP60 est capable d’intervenir dans l’agrégation et de prévenir les dommages causés au niveau de la membrane », explique le Dr Rita Carrotta.

Instruments ILL : IN15;  spectromètre à echo de spin, et D11, instrument de diffusion neutronique aux petits angles. 


Reference: Re. J. Phys. Chem. B, 2019, 123 (3), pp 631–638

DOI: 10.1021/acs.jpcb.8b11719

Contacts: Dr M. Maccarini