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Aucune trace de Symmétrons

Une expérience de haute précision menée par l’Université Technique de Vienne (Autriche) cherche à identifier les « champs de symmétrons », dont l’existence n’est à ce jour qu’hypothétique, en utilisant la source de neutrons ultra-froids « PF2 » de l’Institut Laue-Langevin en France. En effet, la confirmation de l’existence des symmétrons pourrait offrir une explication à la mystérieuse énergie sombre.

 

Une chose est sûre : il existe dans notre univers quelque chose que nous ne connaissons pas encore. Depuis de nombreuses années, des scientifiques cherchent à identifier la « matière noire » ou l’« énergie sombre » : notre niveau actuel de connaissance des particules et des forces dans la nature ne nous permet pas, pour l’instant, d’expliquer les phénomènes cosmologiques majeurs, comme par exemple l’accélération de l’expansion de l’Univers.
De nouvelles théories pour expliquer l’énergie sombre apparaissent régulièrement. Et une des hypothèses développées concerne les « champs de symmétrons », qui selon certains chercheurs se répandraient dans l’espace, un peu comme le champ de Higgs. A l’Université Technique de Vienne, des scientifiques ont mis au point une expérience dans le but de mesurer – à l’aide des neutrons – des forces extrêmement faibles. Les mesures ont été effectuées pendant une campagne de 100 jours menée à l’Institut Laue-Langevin, en utilisant sa source de neutrons ultra-froids PF2. Elles auraient pu offrir des indications sur l’existence des mystérieux symmétrons, mais les particules n’ont pas été détectées lors des mesures. Bien que cette expérience ne discrédite pas complètement cette théorie, elle exclut cependant la possibilité que les symmétrons existent pour une large palette de paramètres ; il va donc falloir trouver une autre explication à l’énergie sombre..


Le symmétron, un petit frère pour le boson de Higgs?
D’après Hartmut Abele, le chercheur principal pour le projet, « la théorie du symmétron serait une option particulièrement élégante pour expliquer l’existence d’énergie sombre ». « Nous avons la preuve que le champ de Higgs existe, et le champ de symmétrons y est étroitement lié. » Cependant, tout comme la particule de Higgs, dont la masse n’a été déterminée que lorsque l’existence de la particule a été confirmée, les propriétés physiques des symmétrons ne peuvent actuellement pas être prédites avec précision.
Comme Abele l’explique, "personne ne peut affirmer quelle est la masse des symmétrons, ni dans quelle mesure ils interagissent avec la matière normale. C’est pourquoi il est difficile de prouver leur existence de manière expérimentale – ou leur non-existence d’ailleurs. » L’existence des symmétrons ne pourra être confirmée ou infirmée que pour une certaine gamme de paramètres : en d’autres termes, des symmétrons avec des constantes de masse ou de couplage dans une gamme de valeurs spécifiques.
Les chercheurs avancent donc prudemment, passant d’une expérience à la suivante, vérifiant différentes gammes de paramètres. Il était déjà clair qu’une certaine gamme   pouvaient être exclues. Par exemple, les symmétrons ne peuvent pas exister avec des constantes de masse élevées et de faible couplage, car ils auraient déjà été détectés au niveau atomique. Des recherches au niveau de l’atome d’hydrogène auraient donné des résultats différents. De la même façon, l’existence des symmétrons dans une certaine gamme avec des constantes de couplage très fortes peut également être exclue, parce que nous aurions déjà pu démontrer leur existence à l’aide de pendules de torsion.


Utilisation des neutrons comme des détecteurs de forces à l’aide de la source de neutrons de l’Institut Laue-Langevin
Ceci étant dit, il restait encore une large gamme de paramètres pour prouver l’existence des symmétrons, et c’est cette palette que nous avons étudiée à travers nos expériences. Nous avons filmé un flux de neutrons extrêmement lents entre deux surfaces miroir. Les neutrons peuvent exister dans deux états quantiques physiques. L’énergie liée à ces états dépend des forces exercées sur les neutrons, c’est ce qui confère aux neutrons leur grande sensibilité dans la détection de forces nouvelles. Si on observait que, juste au-dessus de la surface d’un miroir, il y a une force différente sur le neutron par rapport à la gravitation, cela serait une forte indication de l’existence d’un champ de symmétrons. Mario Pitschmann de l’Université Technique de Vienne, Philippe Brax du CEA Paris et Guillaume Pignol du LPSC à Grenoble y verraient l’influence d’un champ de symmétrons sur les neutrons. Cet effet n’a pas pu  être prouvé malgré l’extrême précision de la mesure.
La précision de la mesure de la différence d’énergie est d’approximativement 2x10-15 électrons-volts (un chiffre que nous devons à une thèse écrite par Gunther Cronenberg). Cela représente la quantité d’énergie nécessaire pour éloigner un seul électron du champ gravitationnel de la Terre, d’une distance d’approximativement 30 micromètres, ce qui est une quantité incroyablement faible d’énergie.
Les neutrons ultra-froids nécessaires pour l’expérience ont été générés et délivrés par l’instrument PF2 de l’Institut Laue-Langevin. Selon Tobias Jenke, « Grâce à son flux incomparable de neutrons ultra-froids, PF2 est pratiquement le seul instrument disponible au monde pour ce type de mesure de haute précision avec un taux de comptage extrêmement faible. » Jenke a joué un rôle important dans la mise au point de l’expérience de l’Université Technique de Vienne. Conjointement avec Peter Geltenbort, il est dorénavant responsable de la source de neutrons froids pour l’Institut Laue-Langevin. L’Autriche est un des associés scientifiques de l’Institut et a donc accès à l’ensemble des instruments qu’il propose. Cette expérience est un excellent exemple de collaboration scientifique entre des chercheurs autrichiens et français.
A l’heure actuelle, l’avenir de la théorie des symmétrons semble compromis, mais il est encore trop tôt pour exclure définitivement leur existence.

 

Re.: Acoustic Rabi oscillations between gravitational quantum states and impact on symmetron dark energy
Nature Physics, July 2018. DOI: 10.1038/s41567-018-0205-x
Contact: Dr Tobias Jenke, ILL